28 mai 2007, cela va faire un mois que Lisa n'est plus là. Je n'ai pas encore eu le courage de débarrasser sa chambre de ses affaires, je sais qu'il faudrait que je le fasse mais je ne m'y résous pas.
Chaque jour qui passe me fait prendre conscience qu'elle ne reviendra pas, jamais... Je sens encore pourtant sa présence dans la maison, j'ai l'impression qu'elle est encore là, pas loin, qu'elle m'observe et qu'elle se moque de moi, de ma tristesse, de mon incompréhension face à tout ça.
Lisa et moi, ça n'a jamais été simple. Moi qui rêvais d'avoir une fille parce que je pensais que mon rôle de mère en serait facilité, je n'ai pas mis longtemps à comprendre que je m'étais trompée. C'était une enfant adorable mais dôtée d'un caractère bien affirmé et en grandissant, elle m'a prouvé que je ne réussirais jamais à avoir le mot de la fin avec elle.
Obstinée, elle l'a été, jusqu'au bout, jusqu'à en mourir.
A son adolescence, je m'étais préparée à ce que les choses se compliquent encore un peu davantage entre nous. J'avais pensé aux fugues, aux crises de rebellion contre son père et moi, à son besoin d'émancipation. De mauvais moments que nous aurions à traverser comme tous les autres parents, un passage obligé pour qu'elle fasse son apprentissage de la vie mais ... Mais Lisa est tombée malade. Une maladie sournoise qui a envahi sa tête, son corps, qui a empoisonné nos existences à tous et contre laquelle, nous ses parents, n'avons rien pu faire. Nous avons assister, impuissants, à la déchéance de notre fille pendant plus de dix ans. Des années entières à chercher une solution pour la sortir de là, à courir de médecins en médecins, de généralistes en spécialistes en espérant que quelqu'un pourrait enfin nous aider mais personne n'a su.
Lisa était anorexique. Des mots qui font peur, que les mères redoutent d'avoir à entendre un jour mais qui font référence à une réalité qui existe et qui engendre des douleurs bien au-delà de tout ce que l'on peut se représenter.
Rien n'est plus violent que de voir sa fille se transformer peu à peu en un squelette, de comprendre que cela a causé des dégâts irréversibles sur son organisme, qu'elle ne pourra jamais avoir d'enfant car sa maladie a provoqué une stérilité. La maigreur extrême n'est que la partie visible de l'anorexie mentale, tant d'autres pathologies méconnues en découlent, toutes aussi ravageuses.
Certaines jeunes filles réussissent à s'en sortir, ça n'a pas été le cas de Lisa. J'ignore encore ce qui a été à l'origine de son état, si je dois m'en sentir responsable ou si la fautive c'est elle. Elle pensait détenir le contrôle absolu de son corps mais elle lui en a trop fait voir, il a fini par l'abandonner.
Jusqu'à la fin, elle a été consciente de la gravité de son état. Elle a subi les hospitalisations à répétition, les internements en hôpital psychiatrique quand les médecins ne savaient plus où la placer, les gavages par sonde gastrique sans jamais broncher mais elle n'avait plus la force de lutter. Ce mal qui la rongeait, prenait toute la place, faisait disparaître la Lisa d'avant, ma fille, celle qui me reprochait gentiment de lui avoir transmis mes petits soucis de poids mais qui jusqu'à ses treize ans, s'en accomodait encore pas trop mal. J'ai du mal à assimiler l'idée que tout ait pu partir de là, d'une banale envie de perdre quelques kilos. Cela semble absurde, dérisoire. Mais les mécanismes de cette maladie sont bien plus complexes, telllement irrationnels qu'il est quasiment impossible d'en connaître les causes profondes.
Lisa a emporté avec elle son secret et je doute qu'elle-même ait su un jour pourquoi elle s'aimait si peu pour s'infliger de telles souffrances.
Ma douce Lisa, j'espère vraiment que tu es plus heureuse là où tu es à présent. Que tu as fait la paix avec toi-même après toutes ces années où tu t'étais perdue et que, délivrée de ce corps que tu détestais tant, tu as retrouvé ton si joli sourire. Cette vie là n'était pas faite pour toi, je l'ai compris le jour où ton coeur a choisi de s'arrêter pour qu'enfin, tu sois libérée de ce calvaire. Si j'ai accepté de te laisser partir, qu'on ne te réanime pas, c'est parce que je savais que tu n'en pouvais plus, que tu voulais que cela cesse.
Ca a été la décision la plus difficile que nous ayons eue à prendre ton père et moi mais nous l'avons fait par amour.
Un mois après, je me dis que nous avons fait le bon choix car je saurai vivre avec ton absence, il le faudra. Pour toi ...
Constance
Le 06 octobre 2007 à 13:26
Difficile d'ajouter quelque chose à part que c'est à la fois très triste et très beau.
Agnès Chêne
Le 06 octobre 2007 à 17:28
Vagabonde
Le 08 octobre 2007 à 20:55
Désolée Agnès que cela t'ait bouleversée et à la vue de ton commentaire, je pense que tu n'as pas lu ce texte d'un oeil neutre (ayant toi-même été en lien avec des jeunes filles anorexiques).
Je tiens beaucoup au thème de ce texte car Lisa a vraiment existé et parler d'elle, c'est aussi parler de toutes celles qui luttent contre cette maladie.
Agnès Chêne
Le 08 octobre 2007 à 21:10
Valentin
Le 11 octobre 2007 à 19:42
Merci à toi Vagabonde de l'avoir partagée avec nous
Lecteur de passage (Céline)
Le 14 octobre 2007 à 14:15
Evergreen
Le 16 octobre 2007 à 18:12
ReneMax
Le 06 février 2008 à 06:59
Il n'y a rien à rajouter au commentaire ci-dessus.
Crois moi elle est heureuse maintenant.
Cet ange qui est passé dans ta vie, dans nos vie avec la lecture de ton texte, nous conduit sur le chemin, le chemin de chacun vers sa propre compréhension de la vie.
Merci aussi pour ton commentaire, ou autobio.
Rene Max
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