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Röh-Lan, Fils des Âges farouches 1/2

Publié le : 27 septembre 2008 à 20:28 par Corentin (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

La naissance


En ce matin d'hiver, la tribu s'affairait plus que de rigueur. Fl'onfh prit son arc et sortit chasser. Le corps noueux du vieil homme ne lui permettait plus d'utiliser la sagaie, mais ses talents d'archer en faisaient néanmoins un guerrier émérite. Rares étaient ceux qui se hissaient à son niveau, et plus rares encore ceux qui étaient au-dessus de lui (d'où l'expression «par-dessus l'archer»). Les feuilles des brinquebaleas à flatulences cognitives et des glandassiers intermittents étaient d'un rouge vif, et la grognace à tige fileutée sentait le pet de marmotte. «La neige est proche», pensa Fl'onfh.

Dans une pièce de la caverne, Caô s'affairait à rassembler ses effets pour partir avec les hommes à la chasse au blairosaure cacochyme (les jeunes n'avaient pas de valeur marchande). Il rassembla ses sagÄ, une outre en peau de biglosaure à pédoncule renâclant, quelques provisions faites de graisse séchée et compactée, agglomérée avec des fruits sÄcs (les anciens appelaient ça un granüh…), et d'autres objets de première importance. La période où ils ne pourraient plus sortir approchait, et la survie du groupe entier dépendait de leur habileté à traquer ce redoutable animal qui pouvait d'un coup de son énorme queue briser l'anuque d'un mammouth (il ne s'agit pas d'une faute de frappe, je l'ai fait exprès, là). Les chasseurs, habituellement, partaient le moins chargé possible, afin de pouvoir transporter le maximum de viande. Et c'est bien connu, les chasseurs reviennent toujours très chargés, de viande ou d'autres choses.

Occupée à tanner des peaux de pignoleur tacheté (très chaudes en hiver, et en été aussi, d'ailleurs), Pöh-Liah sentait son enfant donner des coups dans son ventre. Elle s'arrêta un instant, puis remisa la peau dans un panier tressé. «Je finirai demain». Tanner une peau de pignoleur était un travail harassant, et d'ailleurs elle était toute harassée. Cet animal était recouvert d'une toisante chatoyon dont les poils étaient plus raides que la queue de ma poêle. Un biface pouvait aisément en venir à bout, mais la subtilité résidait dans l'obtention d'une peau douce et soyeuse à la fois, un peu comme si on l'avait lavée avec mührlÄne, ou alors comme si elle était neuve. Changeant difficilement de position, la robuste femme commença à préparer les graines en vue de les conserver pendant l'hiver. Séparant la cosse des longues tiges molles de martinaise bosselée, elle les trempait dans un mélange d'urine de canard des steppes et d'ail sauvage, afin que les tiges se conservent et sèchent sans pourrir. Pöh-Liah sentit tout à coup une douleur dans son ventre qui la plia en deux et lui arracha un cri. «Enfin…» se dit-elle.

Après neuf mois et demi d'une grossesse éreintante, le troisième petit du foyer du crabe eunuque se préparait à venir au monde. Caô, alerté, se pressa aux côtés de sa compagne. Il n'était pas de mise dans la tribu du Paresseux Priapique de se montrer attaché à sa compagne, mais Caô avait de l'affection pour Pöh-Liah, et visiblement elle était mal en point. On fit venir le chaman afin qu'il en appelle aux esprits pour que la naissance se déroule sans encombres. Poussant de toutes ses forces, au bord de l'évanouissement, la femme se demanda si elle survivrait à son troisième enfant. «Il sort par le siège !» cria-t-elle. Rassemblant ses dernières forces, elle poussa encore, et le petit sortit d'un coup. Gluant des eaux de sa mère, il glissa sur la rauche froide de la caverne pour achever sa course en se brêlant la cafeutière contre la paroi opposée. La tribu, du moins le peu qui était admis aux naissances resta interdit, mais bientôt Caô alla ramasser précautionneusement l'enfant et l'enveloppa dans une peau de beulette à fion bas. «Ce petit sera plus solide que le roc de cette montagne, Caô», professa le vieux chaman. «Mais il ne sera pas très malin : il a cogné à la tête.» Et le chaman se trompait rarement: il parlait aux esprits, et ils lui répondaient, paraissait-il.

Ainsi naquit Röh-Lan, fils de Caô et de Pöh-Liah, héros des cinq steppes, découvreur du breuvage aux cinq arômes, inventeur du silex à couper le beurre de Mouät (fils de Chan-Dhon), Röh-Lan nommé par la suite Grand Conteur de Bo-Bhâr, la caverne-brouillard.


Premières chasses


La pensée qui vint à l'esprit embrumé de Röh-Lan lorsqu'il se réveilla ce matin-là, c'est que cette phrase était trop longue et surtout beaucoup trop chiante pour être continuée. L'œil aviné et la langue pâteuse comme un foufoune trop longtemps laissée à l'écart (de rien, c'est pour moi), il se leva précautionneusement et alla satisfaire un besoin pressant. Compissant généreusement dans un buih-sson, Röh-Lan aperçu la jeune Möh'Nik sortir de sa tente en fourrure de nuit. La voyant ainsi à demi dévêtue, le jeune homme senti s'éveiller en lui une sensation étrange, peu familière, et qui se localisait surtout au niveau de… bon, enfin, vous voyez. Non ? Au niveau de l'andouillette, quoi ! Il se rendit compte trop tard qu'il commençait à pisser sur la tente, son urine décrivant un large arc de cercle encore fumant dont l'apogée se situait à peu près à hauteur de sa tête, et finit de se soulager gauchement en adoptant la seule position adaptée, que tous les hommes connaissent : le séant en arrière, bêtement penché vers l'avant pour éviter de se ruiner la nouille en la pliant.

N'oubliant pas cette aventure d'un matin, il se promit d'y repenser plus tard et, éventuellement, voir avec Möh'Nik s'il n'y avait pas moyen de moyenner. Au cours de la journée, Röh-Lan fit part de son expérience matinale à son père, Caô le pourfendeur de Soupopoaro, qui hocha la tête d'un air entendu. «Il est temps», affirma-t-il sentencieusement.

«Ah bon ?!?»

La coutume, lui expliqua Caô (chaud chaud !), voulait que dès qu'un jeune homme ressentait les premiers émois, il trouve sans tarder une compagne histoire de se purger un peu les joyeuses. Cette déclaration combla de joie le Presque Pubère. Il allait enfin connaître les joies de la chair, et ces foutues glaouis qui lui causaient tant de tracas se révéleraient peut-être utiles. Ainsi commence l'histoire des premières chasses qui n'a rien à voir avec la chasse à l'ours ou une quelconque banalité de ce genre. Vous tenez entre vos petites mains potelées et moites d'admiration le premier Reality-Book, et pis d'abord je ne sais même pas pourquoi j'écris ça parce que premièrement on s'en branle et deuxièmement vous n'êtes pas à la hauteur d'un tel chef-d'œuvre. Lâchez ce bouquin tout de suite ! Lors de la cérémonie, le chaman lui remettrait son Graugaudh', symbole de puissance et de vürülütÄt qui l'accompagnerait tout au long de sa vie. Mais il devait auparavant, comme disent les japonais, il devait auparavant trouver une compagne afin d'accomplir les premiers rites. Cela n'était pas une mince affaire, se dit Röh-Lan. Encore il aurait été bien gaulé, ou alors très malin, voire drôle… Peut-être aurait-il eu ses chances, mais il n'avait rien de tout ça. DahM'Näd… OnkOnk, tiens, même... D'ailleurs je viens de m'apercevoir que je ne sais absolument pas plus que Röh-Lan comment il va se sortir du merdier dans lequel je l'ai mis.

Lorsque la soirée vint, Röh-Lan essaya d'aborder la charmante Möh'Nik, en lui glissant une plaisanterie subtile et raffinée: un pet tonitruant. Surmontant son dégoût manifeste, la sémillante jeune fille afficha un sourire niais qui découvrit des dents aussi blanches que le fond du caleçon de Röh-Lan à ce moment là. Les préliminaires commençaient donc sous les meilleures auspices (dessus). Conquis, le jeune homme fringant lui fit durant les jours suivants une cour passionnée, faite de tout le romantisme dont il était capable et dont nous venons d'avoir une belle démonstration. De pets flambés en alphabets récités en rotant, la jeune fille subissait les avances du chasseux avec beaucoup de timidité, mais son admiration pour l'obstination du jeune homme prenait le pas sur sa réputation.

Le jour arriva donc où on les retrouva nus sous une fourrure de euhârosaure à oreilles décollées, les plus rares, en train de couiner comme des beulettes coincées par un sanglochon. Surpris d'être… surpris, les deux jeunes gens se dissimulèrent gauchement sous les fourrures. En y réfléchissant, Röh-Lan se disait qu'il avait bien de la chance d'être accepté par Möh'Nik, et le narrateur se disait sensiblement la même chose, ce qui signifiait que les emmerdes n'allaient pas tarder. La cérémonie de remise du Graugaudh' eut finalement lieu, à la surprise de tout le monde.

Un matin semblable à celui par lequel caummence cette fabuleuse aventure sur les frasques hors du commun d'un personnage haut en couleurs, Röh-Lan (le mec haut en couleurs, c'est lui, hein) se leva, et alla changer l'eau des pommes de tärr histoire de sortir un peu du Cirâaj (contrée lointaine et brumeuse). D'ailleurs j'en profite pour faire une digression dont tout le monde se fout – oui je m'en rends bien compte vous regardez l'heure, ces mots qui sont déformés et majusculés, c'est pour faire historique et documenté, parce que le Cirâaj ça n'existe pas, hein, c'est pas un vrai pays.

Donc, je disais, un matin semblable patatüh patatä, Röh-Lan se mit à arroser avec bonne humeur le buisson qui projetait de crever d'ici peu près de sa tente, quand soudain une douleur lancinante lui transperça la zifaulette. «Bordel», pensa-t-il instantanément. À cette heure-là, il n'était pas capable d'aller beaucoup plus loin dans ses raisonnements. Urinant avec moultes précautions, il finit tout de même par en foutre plein sa tente. «Il faudra vraiment que je pense à changer de buih-sson». Et ce fut le début d'une longue série de souffrances, allant de picautements dérangeants tout au long de la journée en déchirures de zizouille lorsqu'il allait aux cabinets (© Che's Touch). Il se décida enfin à aller voir la guérisseuse, une vieille femme au teint hâlé (en avant), non sans une certaine appréhension, d'ailleurs. Se faire toucher la nouille par une ancêtre ne l'enchantait guère, mais il souffrait trop.

–Tu as partagé tes fourrures avec Möh'Nik, Röh-Lan?

–Oui, pourquoi, fallait pas?

–Ta réputation est justifiée, Andouy (titre honorifique parmi les benêts), elle est plombée ta greluche!

Bien que surpris par le langage de la vieille femme, Röh-Lan bita enfin. Il venait de connaître les joies de la chaude-pisse, et jura qu'on ne l'y reprendrait plus.


La Hutte du Gland


Röh-Lan allait bientôt avoir six printemps trois-quarts. Et comme c’était l’été, il gonflait sa douce mère Pöh-Liah pour aller en camp de vacances comme le faisaient tous ses petits camarades. Jusqu’ici, il était toujours resté au village à se faire chier tous les étés, et vers l’automne, lorsque les autres jeunes rentraient de vacances, ils avaient mille choses à raconter. Alors que lui était resté là, à glander au milieu des adultes, quémandant une beigne dans le tarin de ci, de là. Les discussions parentales sur comment dépecer un glapisaure ou tanner un toupouru le rasaient sévèrement. Il rêvait donc secrètement du camp de vacances où, disait-on, l’on apprenait à chasser le tepakap et le konkombric, où l’on dégustait des burnes d’ours frites dans la graisse de cambouisaure et où l’on jouait dans la rivière aménagée d’un ponton de bakoïa et de balançoires en boikaoutchouk.

Alors qu’il revenait à la charge avec une ultime demande qui manqua finir en n-ième tarte dans la tronche, fatiguée, la main éclatée, Pöh-Liah céda. Röh-Lan triompha et obtint de sa mère une demi-lune de vacances à prix discount au Camp Tirapa. En chemin, Röh-Lan se prenait à rêver à toutes les merveilles qu’il allait découvrir. Arrivés à la réception du camp, ils furent appelés et emmenés vers leurs logements respectifs. À mesure que les noms défilaient, Röh-Lan découvrait toute la magie des lieux. Les uns étaient conduits dans la majestueuse «Datcha du Tigre Blanc», les autres dans la «Taverne du Grizzly» ou encore dans le «Tipi du Canditaure». Mais Röh-Lan, lui, n’avait pas été appelé. Il s’appraucha benoîtement de Flon’kh, le responsable dortoir, qui lui confirma qu’aucune place n’était réservée à son nom.

Z’êtes sûr ? C’est ma mère Pöh-Lia qui a réservé !

Mais t’es qui, d’abord, toi ? Je connais pas de Pöh-Liah.

C’est ma môman. Je suis Röh-Lan, fils de Caô, du clan du Paresseux Priapique.

Ah ? Oui ! Caô ! L’autre truffe qui a harponné un vieux calamar crevé, y a quelques années ! Je me souviens bien… Attends, je regarde.

Röh-Lan attendit un bon moment que Flon’kh finit d’éplucher les registres en peau de tagazelle tanée.

Ah ! Oui ! C’est ça ! On t’a réservé la «Hutte du Gland»!

- La quoi ?

Oui, c’est bien ça, t’es dans la Hutte du Gland mon p’tit gars ! Veinard !

- Ah bon.

Flon’kh emmena Röh-Lan sur un long sentier qui s’enfonçait dans la végétation moite de palmotruffiers bordés de joncs de cannard à sucre. Il lui expliqua que la Hutte du Gland était une vieille annexe du camp qui n’avait pas été utilisée depuis des années. Les tarifs y étaient de fait très compétitifs mais les vieilles lampes à graisse d’oie y avaient quelques ratés en raison des contacteurs qui avaient rouillé. À moins que ce ne fut le disjoncteur différentiel résiduel qui fut déréglé. La charpente avait également pris feu et n’avait pas été reconstruite. Deux grosses mygaloos avaient fait leur nid d’amour dans les murs. «Mais en dehors de ça, continua Flon’kh, tu verras, c’est tout à fait charmant, les latrines au style turque mordoré sont très fonctionnelles».

Röh-Lan passa une bien mauvaise nuit. Entre les vapeurs fétides des latrines finalement pas si fonctionnelles que ça et les ébats des deux mygaloos forcenées faisant trembler la hutte de toute sa hauteur, Röh-Lan soupirait. Lorsque la pluie tropicale s’abattit sur la forêt, l’inondant de plusieurs seaux d’eau à la seconde, charriant boues, feuillages, branchages, groblairos et autres bestiaux dans sa hutte toute pourrue, il crut s’évanouir de peur. Seul dans la forêt haustile, le petit Röh-Lan ne la ramenait pas du haut de ses six petits printemps.

Le lendemain matin, au petit-déj’, il y avait de la feuille de touye farcie au gügo. Röh-Lan était parti pour s’en payer une belle tranche et avait entrepris de touiller la sauce, lorsque Gröhsa-Lo (le cuisinier) lui expliqua que ce n’était pas compris dans son forfait «Petit Gland». Il dut donc se contenter d’une vieille tranche de moruluchon séchée aux herbes de la toundra. Le ventre tordu de douleur par la digestion de la viande avariée, Röh-Lan partit avec la joyeuse petite bande de saligauds pour l’activité du jour: la pêche à l’hippofion, une espèce de serpent de mer nain auréolé d’une crête en cachemire. Sur le chemin du lac, Röh-Lan vit quelques afnaures passer sur le sentier en piaillant. Il en aurait bien bouffé quelques-uns, la moruluchon l’ayant clairement laissé sur sa faim. Arrivé au grand lac, Röh-Lan décida de prendre un peu de repos, vu que de toutes façons son forfait «Petit Gland» ne l’autorisait pas à grand-chose d’autres qu’à regarder les autres s’amuser sans lui. Il s’allongea donc nonchalamment sur la plage de sable fin et s’endaurmit sans demander son reste, en rêvassant d’exploits à la pêche à l’hippofion.

- Putain, Röh-Lan réveille-toi, t’es tout rouge ! lança un p’tit con dont on ignore jusqu’au nom, celui-ci n’ayant pas traversé les âges antédiluviens qui nous séparent de cette histoire.

- Ah bon? fit Röh-Lan en sursautant.

Ce connaud de Röh-Lan s’était endormi en plein cagnard, et vu comme ça cognait dur aux abords du lac sous ce soleil de fion, il avait cramé comme s’il était tombé dans une friteuse à glaouis. Le corps tout rouge et couvert de cloques juteuses, Röh-Lan braillait comme un âne que ça lui faisait mal, ce à quoi l’aide de camp lui assénait «Arrête ta comédie, p’tit con !» Non sans lui distribuer un bon petit bourre-truffe bien achalandé. De retour à sa hutte, le chaman itinérant (il officiait dans tous les camps de la région pour quelques bananes concassées de l’heure, depuis le Camp Youssef au Parc Benelos) vint soigner ses brûlures. Il lui oint le corps d’un succédané de graisse de bouquetin albinos, la couleur du poil ne changeant rien à l’affaire puisqu’il était question de graisse, mais le bouquetin blanc avait meilleure réputation. Ce dont Röh-Lan se serait bien battu les couilles avec une tapette à mouche s’il avait pu bouger ses bras mais les cloques purulentes sous ses aisselles menaçaient de causer un anévrisme fatal. Le chaman lui proposa bien un moulinex magimix en remplacement de la tapette pour seulement 2€ de plus, mais Röh-Lan n’avait pas l’électricité dans sa hutte en forme de gland cramoisi. Röh-Lan passa ainsi la soirée dans une énaurme bande de tulle gazeuse, recrauquevillé dans un hamac confectionné dans de la peau de couille de zabrak distendue (le zabrak n’a qu’une couille, c’est un animal de la famille des monoburnés). Pendant que les autres jouaient à strip-soleil sous la tente de boiyoli, lui maugréait dans son coin en maudissant les vacances à prix discount, et plus spécialement le manuel «Le Petit Furé» dans lequel sa môman avait trouvé cette brochure propagandesque vantant des «vacances inoubliables dans une ambiance de feu à prix modique». Et alors qu’il faisait amèrement le rapprochement entre son cramage du jour et le «feu», le «prix modique» et le forfait «Petit Gland», il se dit que finalement ces vacances de merde seraient en effet «inoubliables» et que donc, il ne pourrait même pas attaquer ces gros connards pour publicité mensongère. Röh-Lan poussa un long soupir, tellement long qu’il eut pu être son dernier, puis il s’endormit dans sa hutte qui se remit à vibrer en cadence, au rythme des ébats noctambules mygaloosiens.

L’atelier du lendemain était une séance de travaux pratiques de lutte euhârienne. L’exercice de style, déjà peu évident à la base, était rendu encaure plus difficile du fait que les deux adversaires devaient être enduits de graisse autopatinable, utilisable à froid comme à chaud et jusqu’à 70% de numidité. Röh-Lan, équipé de sa tulle rendue autolubrifiée par le traitement du jour, avait l’air d’un gland comme rarement. Il se dit que c’était dans l’air du temps, vu l’enseigne à laquelle il était logé et, très philosophiquement, décida de se donner à fond pour le premier atelier auquel son forfait «Mini Gland» lui donnait droit. De coup de boule en uppercut, de boölaz en soorüz, de pelle en râteau, Röh-Lan distilla insidieusement son poison dans la partie adverse. Il accéda imperceptiblement à la grande finale qui avait lieu cette année là dans le caulaussal chaudron du village. L’aire de jeu avait été aménagée de sorte que Röh-Lan affronta Bühlvaï dans un liquide chaud et gluant rappelant vaguement le soupalognon. Devant ce gringalet surprise qui s’était invité en finale, les bookmakers s’étaient enflammés et avaient tout misé sur le petit «nain tullé» comme ils se plaisaient à l’appeler. Bien évidemment, sous la terrible pression qui montait dans le chaudron, Röh-Lan glissa sur un croûton et perdit connaissance. Bühlvaï n’eut ainsi même pas besoin de combattre, en revanche il mit une dizaine de minutes avant de retrouver son corps flasque et pantelant, gisant au fond du bokvaâhl, les poumons gorgés de fromage fondu et deux tranches d’oignon coincées sous les paupières. Criblés de dettes, les bookmakers lui firent sa fête comme jamais, contraignant le pauvre Röh-Lan à la fuite. Il se prit les pieds dans le tautem du village qui se brêla le caisson, sans oublier de faucher au passage les lampes à pétrole parquées près des granges à foin et de la centrale à charbon.

Röh-Lan se réveilla chez lui, le corps cramé et tuméfié, bleu-rougeâtre de la tête aux pieds, un vague arrière-goût de fromage à l’oignon dans la bouche. Pöh-Liah vint à lui lorsqu’il émergea et, furibarde, lui décaucha son meilleur gauche dans les gencives, décrétant que ce n’était déjà pas facile d’être pauvre avec un enfant attardé à charge, il fallait qu’en plus il foute le feu au camp et se fasse écraser par un troupeau de turbosaures rendus furieux par le feu. Elle lui expliqua que ses conneries avaient endetté sa famille pour les trois prochaines saisons de chasse au Mût-Müg et qu’il n’avait pas trop intérêt à la ramener, concluant que les gentils organisateurs du Camp Tirapa avaient été bien gentils de le ramener dare-dare à la maison sans plus d'encombres, à condition que l’on ne l’y revoit plus.


L’attaque des kalamarous


Ce fut par une accablante journée d’été que Röh-Lan découvrit pour la première fois la froide morsure de la mort. Il perdit sa mère dans l’attaque des kalamarous. Il n’avait que sept printemps.

Entamant leur migration d’été qui devait les conduire depuis les gorges rougeoyantes et poussiéreuses du canyon Euhâr aux vastes prairies fraîches et giboyeuses de Walcezia, la tribu du Paresseux Priapique marchait à bonne allure le long du fleuve Torasoaf. Totalement tari, le fleuve n’était plus réduit qu’à un mince filet d’eau rampant péniblement sur un sol rouge craquelé comme la peau d’un glandosaure couvert d’eczéma. Il faisait si chaud que Röh-Lan craignait que le Torasoaf ne bouillonne puis s’évapore vers les cieux azurés. Mettant judicieusement à profit l’aspect ludique de chaleur – après tout il n’était encore qu’un jeune enfant –, alors que les adultes croulaient sous le soleil de plomb, Röh-Lan avait chipé des œufs de kakamoës et s’amusait à les fracasser contre les parois en savourant le pschiiit du liquide en train de cuire à même la roche, transformant le canyon en une gigantesque omelette dont les tons rouges évoquaient vaguement des tranches de bacon.

SloÖup tooÖut !! Un glapissement se fit entendre et continua sa course folle dans le canyon, rebondissant sur chaque paroi, profitant de la moindre anfractuosité pour constituer un formidable écho. Mort de rire à l’écoute de ce son ridicule, imaginant la tronche forcément misérable que devait avoir la bestiole pour pousser un cri aussi grotesque, Röh-Lan éprouva une drôle de sensation en se retournant vers les autres qui semblaient s’être arrêtés net. À voir le visage des adultes se décomposer de la sorte en l’espace de quelques instants, Röh-Lan comprit vite qu’ils connaissaient ce cri. Et qu’ils avaient tout à en craindre. SloÖup tooÖut !! Le glapissement retentit de nouveau. Manifestement, la bestiole s’approchait. Sentant la panique le gagner, Röh-Lan se précipita dans les bras de sa mère. «Kékecé ?» fit-il, terrifié. Ce à quoi sa mère répondit: «Une horde de kalamarous». «Un koi-lamarou ?» demanda-t-il, au moment où il découvrait par lui-même la réponse. La terrible et insoutenable réponse. Plus grand encore qu’un bantha, l’animal semblait peser le poids de plusieurs ânemaures. Et il n’était pas seul. Au moins douze autres animaux lui emboîtaient le pas, grondant et sifflant furieusement. Jamais Röh-Lan n’avait vu de créatures aussi laides, à part peut-être le raptaure à poils ras aux reflets argentés, mais ce qu’il avait devant les yeux dépassait de loin l’entendement. Le kalamarou semblait taillé pour tuer. Plus hideux qu’un bosondehiggs, le kalamarou de tête se mit à mugir et ses poils roses à pois bleus se hérissèrent en cadence. Fonçant à toute allure, il se mit à charger la petite troupe qui s'égaillait, abandonnant au petit bonheur le chargement de vivres et d'eau. Le crâne du kalamarou présentait la particularité d'être surmonté d'un étrange appendice dont l'utilité principale semblait être le combat. Grâce à ce pseudopode, le féroce mangeur d'hommes pouvait à volonté pénétrer les naseaux de ses ennemis afin de les étouffer de l'intérieur. Une sorte d'appendice extrictaure, en somme (par opposition au boa constrictaure ou au méchant canditaure – rien à voir). Le premier kalamarou fut abattu par une flèche de Fl'onfh. Mais rien ne pouvait arrêter un troupeau de kalamarous en pleine charge, pas même la mort de son mâle dominant.

Balayant tout sur son passage, la meute fut attirée par une femelle en fuite vers le fleuve. Pöh-Liah ne voulait pas mourir, surtout du fait d'un kalamarou belliqueux et sanguinaire – d'ailleurs souvent dans ce récit les gens ne veulent pas mourir, ce qui ajoute aux trépidations littéraires. Un kalamarou arrivé à portée de pseudopode lui fut fatal, mais elle sut néanmoins ôter toute velléité à ce dernier en lui assénant un violent coup de latte dans les roubignaules (extrémités renflées des genoux chez les animaux à clapet de déjantage progressif). L'animal blessé poussa un cri de douleur si fort que ses compagnons – des mâles pour la plupart – s'arrêtèrent net dans leur élan, et repartirent en chouinant «comme des tapettes», se dit Röh-Lan. Qui d'ailleurs parmi les lecteurs mâles de ce fabuleux récit n'ont jamais frémi en voyant un camarade prendre un coup de pied dans les roubignoles ? L'un des kalamarous, choqué par le spectacle, décida tout de même que ça lui plaisait pas de se faire marcher sur les nougÄts par une bande de primÄtes et fit demi-tour. La nature est belle mais impitoyable, et lorsque Röh-Lan sentit que son tour de se faire cogner en tant que plus faible animal du troupeau était arrivé, il faillit … défaillir. D'une de ses trois pattes velues, le terrible animal saisit Röh-Lan sans difficulté et se mit à galoper sur deux pattes, emportant sa proie – pour la dévorer vivante, sans doute. Le kalamarou était un animal méchant, vil, fourbe, cruel, bref l'enculé de base du monde animal, mais il n'était certes pas stupide, et en examinant plus attentivement Röh-Lan, il se rendit compte qu'il n'y avait rien à grailler sur ce genre d'avorton, et finalement le balança au hasard.

Dans sa chute, le kalamarou agonisant entraîna Pöh-Liah dans le canyon Euhâr. Röh-Lan connut donc les affres du vide laissé par sa mère, «partie dans un monde meilleur», lui affirma le chaman. Röh-Lan se demanda alors pourquoi ils ne la rejoignaient pas, si c’était si bien là bas. Il eut alors un gros doute : c’était peut-être un endroit tout miteux, après tout. Enfin bref. L'heure n'était pas aux pleurs, et le deuil se ferait plus tard. Le groupe encore sous le choc entreprit de rassembler ses effets et de dépecer le kalamarou mort. Sitôt l'animal dépiauté, ils continuèrent leur long périple vers les steppes de Walcezia.

La route n'était pas sans danger – comme on a pu le constater –, et nous allons le re-constater dans pas longtemps, d'ici un retour chariot ou deux.


Cyclône vespéral


Les hommes marchaient en tête, puis venaient les femmes et les enfants, et enfin…heu bah c'est tout. La troupe se répartissait systématiquement selon un ordre bien établi par les traditions de la tribu, que ce fut lors d'un trajet, à la chasse, au repas ou même dans le bus. Lorsque le soir vint, la cohorte établit le camp non loin de la rivière Onk'h'Onk, qui coule jusque dans les hautes terres de Walcezia et prend sa source dans les vertes plaines du Roykau. Non loin de là, sur les collines avoisinantes, paissaient paisiblement (d'ailleurs les bestiaux qui paissent sont systématiquement paisibles, vous avez remarqué?) un troupeau de kagubus à molette réglable. La rivière Onk'h'Onk parcourait une longue distance au milieu des plaines, ce qui d'ailleurs provoquait régulièrement des changements de trajectoires (hyper simple pour les points de repères, une tribu sur cinq environ se perdait tous les ans), puis finalement achevait sa course effrénée en s'enchâssant dans les gorges du mont Toukt'oukh, dont les collines avoisinantes faisaient partie, donc. L'activité ne laissait de repos à aucun membre de la tribu, ce qui n'était pas du goût de tout le monde, et Röh-Lan se vit confier la tâche d'aller chercher du bois pour le feu. Pour ce faire, il devait faire appel à ses plus fins talents d'haumme des cavernes, à son plus aiguisé sens de l'observation. Il devait… trouver une faurêt.

Fermant à demi les yeux, la main en visière au dessus de la tête pour se protéger du soleil déclinant dans une mimique bien connue des rat-cailles, ces bestiaux stupides, Röh-Lan scrutait. Mais cela ne retournait rien (it wasn't retourning anything). Après cette longue recherche d'environ, il prenait le chemin du retour laursqu'un graugnement guttural lui fit lever la tête. Il reçut alors une fiente de brélosaure bigarré à bec verseur dans l'œil en étouffant un juron (ou une conjonctivite, personne n'en sut jamais rien). C'était d'ailleurs à peu près le seul truc qu'il savait étouffer, bien que plusieurs fois il ne fut pas avare d'aubscénités – mais c'est un autre sujet. Au campement, chacun vaquait à ses activités, à part les vaches qui vaquaient tout court, lorsqu'un cri affaulé perça le silence affairé et les tympans.

–Regardez ! Qu'est-ce que c'est ? cria une femme quelconque (c'est vrai, on s'en fout de savoir qui c'est) Là-bas !

Au loin s'était formé un nuage menaçant, les nuages sont d'ailleurs toujours très menaçants dans les ouvrages de haut niveau, et justement tout le monde se sentit menacé, sans trop savoir pourquoi – à cause du nuage menaçant, probablement. Alarmé, Röh-Lan fut contraint d'abandonner sa tâche et courut vers le camp.

Les membres médusés de la tribu fixaient l'haurizon d'un seul regard. Le nuage s'approchait et se faisait plus distinct. Composée d'une colonne de poussière tournoyante surmontée d'un ciel tourmentée, l'infernale vision fit frissonner le chaman.

–Le Cyclône, murmura-t-il, le Cyclaune est venu nous prendre !

Le Cyclône, apparition infernale de la colère des divinités, symbolisait pour la plupart des animaux pensants une désolation sans limite, principalement. Les rares rescapés de la précédente apparition du fléau étaient avares d'histoires, vu la trouille incontrôlable qu'ils en avaient eue. Cédant à la panique la plus primaire, Röh-Lan se barra à toutes pompes, et, plongeant dans l'eau, faillit calancher d'une hydrocution. Il décida que finalement le salut appartiendrait à ceux qui savent rester groupés, et retourna auprès de ses compagnons. Sur un ordre du chef, ils se mirent tous à courir en fuyant le terrible Cyclaune, priant en leur for intérieur d'être épargnés, abandonnant tout ce qui n'était pas utile à leur survie, plus le reste, donc tout. Le vent commençait à faire tanguer les arbres environnants comme autant de barcasses par gros temps, et les tentes abandonnées par la tribu s'envolèrent, emportées par… le vent. Par une chance digne des hommes dont la femme s'ennuie à la maison toute seule, et aussi digne des écrits bas de gamme, le titanesque Cyclaune mourut sur les collines du mont Toukt'oukh – physiquement cela s'explique, mais premièrement un cyclaune n'est pas une taurnade, car celle-ci n'est pas un système dépressionnaire. Une tornade est en fait un vortex constitué de vents extrêmement violents, prenant généralement naissance à la base des cumulo-nimbus fortement orageux. Deuxièmement, on se fout de savoir qui fait quoi en matière de gradient de pression et autres fronts froids, étant donné que cette histoire n'est depuis le début qu'un ramassis d'âneries plus jubilatoires les unes que les autres. Ainsi fut ravagé le camp de fortune de la tribu du Paresseux Priapique, et Röh-Lan, pour la première fois de sa vie, n'en fut pas accusé. Quoique… La colère des dieux avait bien une raison, se dit le chaman, et Röh-Lan, avec ses burnes pleines et sa tête creuse, n'y était sûrement pas étranger. Faisant part de ses doutes à Röh-Lan (mentir à l'idiot du village était un sacrilège), celui-ci lui intima l'ordre d'arrêter sa comédie, ce qui lui valut une baffe appuyée sur la cafetière. Ainsi se termine l'histoire du Cyclone, puisqu'il n'est jamais revenu, du moins jusqu'au jour d'aujourd'hui.


Légendes d’automnes


L'automne était, pour la tribu du paresseux priapique, une saison d'intense activité : il fallait ramasser les glands, les fruits du glaouissier collant et autres graines que l'on ferait sécher pour l'hiver, tâche réservée aux femmes, chasser la sauterelle à front fuyant notamment (les hommes dévolus à ce travail devaientt avoir une bonne vue), préparer les peaux en vue des grands froids… Chacun était occupé, et Röh-Lan voyait l'effervescence du groupe augmenter avec anxiété. Bientôt on lui demanderait s'il allait enfin se mettre au boulot au lieu de glander toute la journée, et cette année, Röh-Lan décida de ne pas se laisser exploiter. Il partit donc au petit matin dans les hautes steppes qui bordaient le campement afin de pouvoir zoner à son aise. Arrivé à l'orée d'une forêt de calbardiers à lianes pendantes, le jeune chasseur prit la décision de s'arrêter au pied d'un arbre pour prendre un repos bien mérité. Il ne savait pas que la sombre forêt recelait de bien plus sombres secrets (pas mal de trucs sont sombres dans cette histoire, non ?). Somnolent, il laissait la torpeur le gagner et s'endormit. Quelques heures plus tard, à son réveil, Röh-Lan examina l'arbre contre lequel il s'était assoupi. Bordé de veinules jaunes à palpation développée, le tronc semblait battre d'une pulsation mystérieuse. Un claveutier à crête pourpre glissa silencieusement dans l'herbe jusqu'au jeune homme, profitant de son inattention. Ces animaux, recherchés pour leur pelage chatoyant, n'en étaient pas moins dangereux, et lorsque celui-ci se glissa dans le futal de Röh-Lan, le guerrier sentit ses quelques poils de dresser. La morsure du claveutier pouvait se révéler fatale, et il n'avait comme la plupart des gens pas trop envie de claquer.

Se relevant d'un bond, courant, gesticulant, il enleva son pantalon et s'enfuit à moitié nu dans les bois. Arrivé près d'une mare, Röh-Lan fut pris d'un doute plus gros que Müt-Mug, le fabuleux mangeur de bougnoulodons. Où était-il? En observant les alentours, le jeune homme étouffa un juron. «Je suis encore perdu, bordel». Glissant contre toute attente sur une motte de terre un peu plus grasse que les autres, il réussit tout juste à se rattraper à une branche, non sans se fracasser les couilles dessus. On raconte que son hurlement fut entendu jusque dans les contrées les plus reculées, jusqu'aux lointaines terres de Brôh'Sadan notamment. Se massant douloureusement les parties, Röh-Lan se décida tout de même à continuer son chemin. «Quitte à me paumer…» se dit-il. Arpentant la forêt hostile, il ne savait trop quelle direction prendre, et il se rappela les consignes de son valeureux père, Caô, le pourfendeur de Soupopoaro. «Regarde la mousse sur les arbres», lui enseignait-il, «elle pousse toujours du côté nord». Là non seulement le chaman ne s'était pas trompé en affirmant que Röh-Lan ne serait pas très futé, mais en plus celui-ci était plus poissard qu'un peytalouze gouatreux à valvules secondaires. En examinant les arbres autour de lui, il vit que ceux-ci (sont secs ?) étaient couverts de mousse. De tous les côtés. Il ne put retenir un juron retentissant et incompréhensible, tant sa fureur était grande. Ce fut le deuxième des Trois Cris de la forêt des calbardiers.

Tout autour de ladite forêt vivaient en effet des tribus pacifiques voire craintives, dont celle des chasseurs de clitosaures (connue pour ses massages), et la curiosité le cédait peu à peu à la panique depuis le deuxième cri provenant de la forêt. Les hommes ne s'y aventuraient généralement que par nécessité, en groupes armés, et seulement lorsque le chaman leur donnait l'accord des esprits. Cette forêt alimentait depuis des générations les histoires les plus sordides, et personne ne la ramenait trop lorsqu'il s'agissait d'y aller. Röh-Lan marchait donc, les noix douloureuses, le cœur plein et la tête vide dans la forêt lorsqu'il aperçut l'orée du bois, par un coup de chance colossal, le seul de sa vie, d'ailleurs (bien maigre pour certains, mais pas pour Röh-Lan, qui savait se contenter des choses simple, heureusement). Se hâtant de sortir du bois, il ne prit pas garde au sanglochon farceur qui se dépêchait de démouler une terrine à quelques enjambées de l'inconscient. Arrêtons-nous quelques instant sur le cas du sanglochon. Mélange de plusieurs espèces aussi mal connues qu'inintéressantes, le sanglochon doit son surnom de «farceur» au réflexe incontrôlable qui lui vaut l'inimitié des voyageurs. En effet, celui-ci ne peut s'empêcher de caguer sous les pieds du premier pignouf venu (une bouse conventionnelle approchant généralement le quintal), ce qui entraîne au mieux un salissement irrémédiable de la poulaine dudit voyageur (d'ailleurs ne dit-on pas : «Sale comme une bouse de sanglochon»?), au pire la chute d'icelui. Vous connaissez d'ailleurs tous la fameuse ritournelle: «les sanglochons dévient au long [de traîtres chemins l'premier couillon». Enfin bref. La rondelle encore fumante de son forfait, le sanglochon de notre histoire se hâta de disparaître dans les buissons (arbuste épineux à feuilles caduques), et Röh-Lan de glisser sur le cadeau de l'animal et de s'y allonger. Lorsque le jeune homme se releva, ses délicates narines furent prises d'assaut par la non moins délicate odeur du fumier de sanglochon, et la terreur s'empara de lui. Criant, il s'enfuit à nouveau, dans la bonne direction (pour une fois), et ce fut le dernier des Trois Cris de la forêt enchantée des calbardiers. Plusieurs légendes narrent le récit du fabuleux combat qui eut lieu ce jour-là entre les bêtes des neuf enfers et les esprits des cieux, et plus nombreuses encore celles qui racontent la prodigieuse soufflante que reçut Röh-Lan en rentrant chez lui cul nu, empestant le purin de sanglochon, les burnes en sang.


La bête du camp d’à-côté


Parmi les nombreuses légendes que se racontaient les chasseurs de la tribu le soir au coin du feu (expression stupide, d'ailleurs, étant donné que le feu était rond), une en particulier retint l'attention de Röh-Lan ce soir-là. Elle racontait que, dans les nombreuses tribus alentours certaines étaient hantées. Les gens voyageaient moins à cette époque, car il n'y avait pas la carte 12-25 et les gens vivaient rarement au-delà (de vingt-cinq ans). Ainsi certaines tribus proches ne s'étaient jamais rencontrées, parce que tout le monde avait autre chose à glander. Tout le monde, sauf Röh-Lan. C'est ainsi qu'il partit seul à dos de paresseux (le totem de la tribu) le lendemain matin, en direction du Nord, à la recherche du camp de la Beulette Amusée. Comme il n'avançait pas et qu'il n'était pas encore sorti du village (et aussi que tout le monde se foutait de sa gueule), Röh-Lan congédia d'un coup de botte dans le train le mol animal, et décida de continuer à pied. Il traversa les marécages de Grrâh-Nüh, encombrés d'animaux morts (trente-cinq environ), foula d'un pied incertain le loess du plateau de Frohm'Âj, affronta des hordes de moustiques enragés et sanguinaires qui menaçaient à chaque instant de l'épulper en lentes succions gargouillées et glaireuses, manqua de tomber dans un trou, y tomba finalement, et, lorsqu'il crut ne jamais arriver, arriva. Les gens du camp le dévisagèrent longuement: ils n'avaient pas l'habitude des voyageurs lointains, et Röh-Lan avait une fâcheuse tendance à finir ses voyages dans un état lamentable. À peine arrivé, Röh-Lan fut conduit devant le chef du camp. Kal'Butt, ainsi le nommait-on, était un homme d'une grande force morale. Un coup d'œil sévère suffisait à faire taire les plus bavards, parler les autres, et il n'y avait personne qui ne reconnut sa supériorité au lancer de coucourdes à tige sombre arrêté.

–Kekeuvouh v'nai fÄr ici ? lui demanda-t-il d'une voix sans appel.

–Moka niquer esprits mauvais, répondit l'Incroyable. Cette remarque pertinente et au vocabulaire ciselé déclencha (du verbe déclencher : enlever une clenche de porte, par exemple) une hilarité sans précédent auprès de la plupart des spectateurs rassemblés (tous, en fait). La vue de ce jeune chasseur à moitié nu, au corps ingrat et au regard dense était déjà propice au rire, mais la déclaration qu'il venait de faire dépassait leur entendement. Comment une andouille pareille viendrait-elle à bout du terrible monstre qui les terrorisait depuis des lunes ?

–Foutaileu dans l'throu Apice ! ordonna l'imposant Kal'Butt. La langue de ce peuple n'était pas assez familière à Röh-Lan pour lui permettre de comprendre ce dernier ordre, et il ne put qu'imaginer les sombres tortures qui l'attendaient en punition de son insolence.

Quelques minutes plus tard, le chasseur découvrait avec amertume les traditions de ce peuple fier et sauvage.

–Nous sommes un peuple fier et sauvage, lui dit alors le chef, penché au bord de la fosse d'aisance. Nos coutumes veulent que nous vous infligions ce traitement. C'est un honneur, savez-vous ?

–Mais vous parlez normalement ?

–Oui, vous avez vu juste. La tradition exige aussi que nous parlions comme des attardés, que nous nous vêtissions comme des bêtes… C'est dans le scénario, mais pour les visiteurs nous faisons une exception, qui est dans le scénario aussi.

–Ah bon !?!

–Oui. C'est aussi pourquoi nous vous accordons le droit de séjour dans notre clan, à compter d'aujourd'hui et pour une durée égale à vos impôts de l'année dernière, déduits des charges salariales de votre chaman – il a des disciples, je crois ? –, charges auxquelles bien entendu il faut déduire l'usufruit d'héritage jusqu'à la troisième génération à gauche.

–Je…

–Non, écoutez, ne compliquez pas, c'est comme ça, pliez-vous un peu aux règles des autres que diable. Quel est votre numéro d'apport ?

–Quel... quoi !?!

–Vous voulez l’usufruit ?

–Un jus de fruit ? Avec plaisir !

–Bon, laissez tomber.

–Mais je suis obligé de… Est-ce que c'est obligatoire tout le bordel que vous me parlez là ?

Quelques instants plus tard, Röh-Lan était chez la guérisseuse du campement. Le chef avait décidé de lui asséner une claque violente sur le museau pour sa grossièreté, et, fort de ses 49 kilos, le chasseur avait décidé à son tour d'ignorer la provocation et de perdre connaissance.

Röh-Lan sentit quelque chose de chaud et gluant contre sa joue. Il mit une plombe à réussir à faire sauter les cadenas de pus scellant ses paupières. Lorsqu’il y parvint enfin, essoufflé comme le gringalet qu’il était, il put enfin voir ce qui lui léchait la joue avec tant d’amour et d’impétuosité et qui lui avait manifestement oint le corps d’une couche de bave mousseuse des plus ragoutantes: une bäte, haute d’un bon mätre, un de ces animaux domestiques fort avenant que Röh-Lan avait en adoration. Une bonne bäte, visiblement contente d’avoir quelqu’un à qui tenir compagnie. D’ailleurs, le seul fait d’être contente semblait la rendre encore plus contente ce qui, par un processus d’auto-amplification curieux, propulsa le bon gros sympathique animal au nirvana suprême de la contentitude la plus totale en une petite poignée de secondes à peine. Laissant l’animal à son bonheur décidément intense, Röh-Lan décida de sortir de cette sombre tente dans laquelle il ne se souvenait pas avoir échoué. Il fut aussitôt accueilli par un petit vieux bedonnant dont il se souvenait maintenant très nettement avoir chatouillé le poing avec ses moläres.

-Vou ka af’ronh-ter Bulba, lui dit le vieux schnock.

–Ah parce que vous vous remettez à parler comme une tanche ?

–Ben oui c’est dans le scénar’… Toi aussi d’ailleurs tu devrais t’y remettre…

–Ah bon !?! … Bon, ok…

–C’est mieux…

–Mo ka… koi ? Kékeçäh Bulba ?

–Ca ätre grÖosse bäte !

–Mo ka taper bäte ? Mais ça bonn’bäte ! fit-il, montrant du doigt le bon gros bestiau.

–Nan ka pas çäh. Bulba ätre bOku plus grÖÖL…

Sur ces bonnes paroles, le vieux empoigna vivement Röh-Lan et alla le balancer dans une espèce de trou sombre. Il finit dans la poussière. La gueule enfarinée, il se releva et vit un curieux bonhomme qui le regardait fixement.

–Z’êtes qui, vous ? fit Röh-Lan.

–Mo ka… Nih’Youtoneü-maître de ces lieux.

–Mais quels lieux ? Ch’uis où, là, par Benelos ?!

–Dans les coulisses de l’arène !

–Ah bon !?!

Nih’Youtoneü, maître des lieux, lui expliqua que le clan possédait une arène où était enfermé Bulba, pour les spectacles du village et autres combats-cadeaux de bienvenue. Röh-Lan allait donc avoir l’immense honneur d’y affronter Bulba.

–Par iciiii, messiiiiiiire, fit une voix stridente dans son dos.

Röh-Lan se retourna vivement et découvrit un nain puant édenté.

–Je te présente Pascal, mon petit apprenti, fit le maître. N’est-ce pas milli Pascal ?

–Nîîîhhhh, fit-il pour seule réponse, avant de prendre Röh-Lan par la main afin de le conduire dans l’arène.

Röh-Lan fut jeté à terre dans une arène poussiéreuse, il entendit une lourde grille se refermer derrière lui avec force fracas. Il faillit y laisser une burne qui traînait là où la herse perfora le sol aride. En se relevant, Röh-Lan découvrit qu’il était cerné par de hautes murailles, taillées à même la roche de granit et surmontées, de loin en loin, de renforts artificiels en mullonciment et de postes de combat en transparostafa. La herse opposée fut levée et Röh-Lan vit Bulba faire son entrée. Il s’agissait d’une espèce de reptisaure étrange, haut comme trois tipis. Pascal lui jeta une arme. Röh-Lan empoigna avec force le gourdin en sékobab fileuté et s’approcha résolument de Bulba qui n’avait finalement pas l’air si féroce que ça. La bête le considérait d’un regard bovin. La tête surmontée d’une grande clavette et le dos couvert de cannelures, Bulba était peut-être idiot mais Röh-Lan s’attaquait tout de même à un gros morceau. Soudain, Bulba se jeta sur lui avec une vitesse folle et Röh-Lan fut rasé de près par la terrible peau abrasive de la bête qui le manqua de peu. Entrant dans une transe mystique, comme le chaman lui avait appris, Röh-Lan décida de gagner ce combat. Alors les deux adversaires se lancèrent dans une danse mortelle d’où, Röh-Lan le savait, un seul vainqueur sortirait. Röh-Lan devait manœuvrer vite pour éviter les coups de pattes que le reptisaure lui lançait. Augmentant son volume de jeu, il passa à la vitesse supérieure et parvint à éviter tous les assauts ennemis. Il atteint un niveau de concentration tel que lorsque la lourde peau de neuranium le frôlait, elle était si dense et rugueuse qu’il pouvait en percevoir l’altération du tissu de l’espace-temps.

Continuant leur danse mystique, les deux combattants poussaient des cris hargneux, se déplaçant à une vitesse telle que Röh-Lan put saisir les contractions et dilatations locales spatio-temporelles de l’arène. À cet instant, Röh-Lan était invincible, percevant le TOUT de cette confrontation. Il était Bulba. Il était sa peau écailleuse, tout comme il était le rythme frénétique de sa respiration et de ses cannelures. Il était le vecteur gravité. Ils bougeaient si vite que la notion de temps devint floue et le reptisaure ne lui apparaissait plus que comme des minces tracés, floutés et évanescents. Une véritable imitation d’évènement quantique. Et lorsque Röh-Lan décida de changer de direction, l’impulsion qu’il donna fut d’une telle puissance qu’il inversa son cône de causalité, bousculant l’horizon des évènements, inversant la cause et l’effet. Il ne s’en rendit compte que lorsqu’il ressentit une vive douleur, un impact formidable lui détruisant la face, alors que la bête n’avait pas encore abattu sa patte sur lui et ne projetait encore que de le faire. Mais l’idée du reptisaure était déjà devenu acte pour Röh-Lan qui fut projeté en arrière et alla mordre la poussière. Ivre de fureur, ahanant, Röh-Lan se releva, enserra fortement son gourdin fileuté puis, commandant à la gravité d’élever son corps de nain à hauteur de la crête de Bulba, Röh-Lan lui matraqua la clavette avec une violence inouïe, dépassant sa limite élastique au-delà de tout coefficient de sécurité possible, puis se laissa retomber avec la souplesse d’un smilodon. Contemplant son œuvre, Röh-Lan vit Bulba reculer en tutubant, la tête enfoncée, la clavette plastifiée en porte-à-faux et le bec de guingois, avant de s’affaisser lourdement, exhalant un long râle plein de vicissitude, bien que Röh-Lan n’avait pas la moindre idée de ce que ce mot eut bien pu vouloir dire.

Peu après, Röh-Lan était quasiment battu à mort puis jeté dans les marais du village ligoté à un parpaing de mullonciment. On lui avait gentiment expliqué que s’il avait l’honneur d’affronter Bulba, cela ne signifiait en rien qu’il lui était permis de le tuer. Avec ses conneries, c’est tout un village qui perdait son symbaule, sa force, son idaule, sa raison d’être, son esprit éclairé vieux de plusieurs milliers d’années. Bulba avait affronté les siècles avec sagesse et persévérance, et, avaient conclu le chef Kall’But et son frère Osso-Bulkos, ce n’était sûrement pas pour finir la clavette fracassée par un nain pré-pubère en mal de reconnaissance déplacée. Alors que tout un peuple pleurait la mort de Bulba, mentor et esprit du village, icône de leur civilisation paztèque, Röh-Lan dévalait la pente vaseuse du fond d’un marais, entraînée par son parpaing, les mains attachées dans le dos, en se demandant comment il allait bien pouvoir s’en saurtir, et le narrateur n’en menait pas large non plus question sauvetage de héros englué dans la glaise visqueuse d’un marais puant. C’est donc par une habile pirouette purement scénaristique que la caurde céda, libérant Röh-Lan qui put remonter jusqu’à la surface dans un tourbillon de bulles aux reflets argentés, semblables au poly-alliage mimétique du T-1000, bien que Röh-Lan n’eut jamais vu Terminator 2, mais le narrateur décida qu’il en était bien ainsi. Et puisqu’on en est plus à une vache près, ni même à un demi-burnosaure, Röh-Lan retrouva son village sans encombres ni autres légumes qui n’ont d’ailleurs strictement rien à foutre dans cette histoire.


Rencontre avec un bougnoulodon


L’air était froid. Froid et numide. Penché au-dessus de la rivière gelée, Röh-Lan guettait les va-et-vient des dorades et des merluchons. De temps à autre, lorsqu’il estimait que l’angle était bon, il lançait sa petite lance dans le trou qu’il avait lui-même percé dans la glace. Sa lance était si petite que les autres jeunes de la tribu disaient toujours «Röh-Lan est parti pécher avec son petit dard de pédé». Röh-Lan avait tous ces commentaires en aversion, et il s’était juré qu’un jour il ne serait plus aussi maigrichon. C’est pourquoi il s’entraînait sans relâche à la chasse au dard, espérant à chaque fois ramener des tonnes de daurades mais, au final, Röh-Lan n’était encore qu’une misérable tanche. Il était donc là, à se peler le jonc et à scruter le poisson, lorsqu’il entendit un bruit. De l’autre côté de la rive, par-delà les branchages dépouillés de cette glaciale journée d’hiver, Röh-Lan crut voir une forme bouger. Oui. C’était bien une bête. Et massive, qui plus est. Le réflexe bon-la-viande étant fortement bien ancré dans son esprit, Röh-Lan laissa là ses dorades et ses merluchons, saisit son dard et entreprit de gagner la rive opposée.

Röh-Lan progressait lentement sur la croûte de glace. Le temps caillait sévère mais la glace n’en avait cure: malmenée par le torrent sous-jacent, la surface pouvait se rompre à tout moment. Les pieds anesthésiés par le froid, Röh-Lan étouffa un juron en se rêchant comme une brêle. «Par les rats du Danube! Ras le cul de ce froid de con!» maugréa-t-il. «Ah l’échec!», se dit-il à lui-même. Ce n’était pas le moment d’alerter le gros-la-viande de sa mise à mort imminente. Imaginant déjà la bête tournoyer sur un pieu au-dessus du feu, savourant par avance la fumée douceâtre des graisses brûlées, Röh-Lan avançait à pas de loutre sur les galets blanchis par le froid. C’est à ce moment que le bestiau sortit de la forêt. Haut comme le tipi moisi de ses parents, large comme un buffle et recouverts d’écailles verdâtres, l’animal avait une grosse tête surmontée de petites cornes évoquant vaguement un zabrak. Mais non, ce n’était pas un zabrak. Röh-Lan n’avait jamais rien vu de tel. Planqué, recroquevillé derrière un rocher, Röh-Lan scrutait la bête qui marchait paisiblement. Emmitouflé dans sa vieille fourrure délabrée de skons d’Alaska, les burnes dépassant et posées à même la roche, la position n’était certes pas très confortable mais Röh-Lan préférait ne pas être vu d’une telle bestiole encore indéterminée.

L’animal atteint le bord de la rivière gelée et se mit à renifler quelques pousses vertes. En entendant les «fnouf fnouf» d’extase poussées par la créature, Röh-Lan se souvint des paroles de son père Caô, le pourfendeur du Calamar du Soupoporao: «Lorsque l’hiver est au plus fort, seule une plante persiste: l’algue des rivières». «Un bougnoulodon!!...», souffla Röh-Lan entre ses dents. Il savait que seuls les bougnoulodons mangeaient les plantosuces, ces algues étranges et puantes, tellement collantes qu’on les jurerait capables de vous sucer jusqu’au sang. Röh-Lan n’avait encore jamais vu de bougnoulodon, à part peut-être une fois, en morceaux épars, grillés, qu’il avait reçus sur la figure au coin du feu pour un dîner de fête, une agréable veillée de printemps. C’était un met de tout premier choix. Et Röh-Lan serait à coup sûr le héros du jour si d’aventure il parvenait à ramener du bougnoulodon pour le repas du soir, habituellement frugal en cette morne période de l’année. «À l’attaque», se dit-il, esquissant un sourire démoniaque qui voulait à coup sûr dire «Gnark gnark, mo ka bien bouffer ce soär». Röh-Lan se leva d’un bond, brandissant son dard, fondant sur le pauvre bougnoulodon apeuré.

-Ah l’échec ! maugréa t-il.

Röh-Lan marchait, tout penaud. Titubant sur une jambe, toute la face endolorie et les burnes broyées, il ne comprenait toujours pas ce qu’il lui était arrivé. Il se souvenait vaguement avoir trébuché, les pieds pris dans une racine de plantosuce, se ramassant la tête sur un vieux tronc pourri de bakoïa – à moins que ce ne fut un sékobab ? Puis le bougnoulodon était devenu tout rouge et avait fondu sur lui. Encore englué dans la plantosuce, Röh-Lan n’avait pu tenter qu’une vaine et pitoyable roulade, misérablement vouée à l’échec, tandis que le bougnoulodon lui labourait les burnes de son groin calleux, avant de décamper en poussant des «kouï!! kouï!!» apeurés, sans doute terrifié par la complainte du looseux solitaire («’cheeeeecccc!!»)étalé au bord de la rivière de neige. «Ce soir, se dit Röh-Lan, ce sera maigre purée de racine pour dîner, et macération de bave de gronibar en cataplasme sur les couilles».


Les épreuves du temps


Röh-Lan se tenait debout devant sa tente miteuse. «Putain faudrait vraiment que je change de tente». Vous l'aurez compris, sa tente était… toute pourrie, et il lui fallait un nouvel abri pour l'hiver à venir. Deux solutions s'offraient à lui. Il pouvait tenter de tuer une bête afin de récupérer sa peau, il faudrait ensuite la traiter et la tanner. Vu le manque de bÖl dont il avait fait montre auparavant, ce n'était sans doute pas la solution à retenir. L'autre possibilité consistait à troquer une peau contre autre chose. D'ordinaire, chaque membre de la tribu –possédant un talent particulier– échangeait le fruit de son travail contre celui du travail d'un autre. Cette solution favorisait les échanges et l'entraide, et de toutes façons un tailleur de silex ne pouvait pas dormir et s'habiller avec du silex (faut pas être trop con non plus). Tout le problème se posait là pour Röh-Lan, doué pour l'artisanat autant qu'une cafetière pour la course à pied: il ne voyait pas bien ce qu'il pourrait échanger (et le narrateur non plus).

–Voyons voyons, que sais-je faire…

Un bon quart d'heure après, Röh-Lan commençait à avoir mal au jambes. Il s'assit, donc.

–Heu je suis doué pour dormir, mais bon, on va me jeter des cailloux si je propose ça.

Le narrateur en avait doucement marre de ces histoires qui commencent super mal, et décida d'un coup que Röh-Lan était pété d'oseille. L'oseille, très rare en ces contrées de froidures (oui bon, me faites pas chier avec les incohérences du récit) possédait des vertus curatives et laxatives, notamment en cas de crises d'hémorroïdes. Seulement voilà, il fallait bien rajouter une difficulté aux aventures de Röh-Lan, de préférence en lui en collant plein le museau vers la fin (burnes arrachées, etc).

Ainsi Röh-Lan se mit en quête d'un pigeon à qui refiler son oseille, et, contre tout cet oseille il ne réussit qu'à troquer un peigne sans dent taillé dans une défense de castor. Et oui, les castors à l'époque étaient plus vigoureux qu'au jour d'aujourd'hui. Son ustensile finement décoré en main, Röh-Lan se rassit comme une baguette d'hier.

–Mutain de merde, qu'est-ce que je vais bien pouvoir foutre avec ce peigne ? Je me demande si je en me suis pas fait emmancher avec ce troc, quand même. Pasque bon, faut bien reconnaître, c'est pas très utile.

Röh-Lan associait en effet un vif sens de l'observation à une fulgurance d'esprit rare. Avisant Ngroung qui passait par là, Röh-Lan essaya de feinter.

–Hé Ngroung tu veux pas m'échanger un peigne contre une tente? Hein? Regarde il est joli! Hein? Regarde j'te dis, il est vach'ment bien et tout!

–Hé mais tu m'emmerdes avec ton peigne, là, va plutôt traire les poules!

Soignant son cocaaaard, le jeune infortuné se mit en quête d'une autre victime. Peut-être devrait-il s'y prendre plus finement, cette fois-ci. Il n'avait pas encore percuté, à ce stade du récit, que la seule victime de l'histoire serait forcément lui, vu que le narrateur est un sadique doublé d'une andouille. Il se mit donc en route vers le camp du canaaard, situé à quelques heures de marche, un défi surmontable même pour Röh-Lan. Arpentant le chemin de cailloux, il se demandait où cette nouvelle aventure le mènerait (et il n'était pas le seul). Pour une tente, pour sa survie, que n'aurait-il pas fait? Tout à coup (j'ai honte d'écrire des rebondissements aussi nazes, mais il fait chaud, là, et j'ai pas d'inspiration) il entendit un cri, pas inhumain ni rien, un peu rauque, quoi, c'est tout.

–Tümbeeeeeer !

Dans un fracas de tous les diables, un gigantesque séquèzoab à feuilles carrelées s'abattit sous ses yeux. Encore tremblant, Röh-Lan vit s'avancer un être frustre, haut comme deux pommes de pin les bras levés debout sur une chaise. Vêtu de peaux de bah'nanes naines, l'homme s'exprima dans une langue familière aux oreilles décollées du jeune haumme.

–Bijour ! La besse ? Ji m'appelle Binel !

Heureusement, Röh-Lan avait pris benelien en lv2, et donc pour une fois il n'était pas complètement largué.

–Imothep imothep. (Pour plus de compréhension, je traduirai pour vous les dialogues, n'y laissant que les locutions les plus intraduisibles et les plus amusantes). Que fais-tu dans ces bois, l'ami ?

–Ji coupe di bois. Ji dibite, en quelque sorte. Ti prends la hache, comme ça, et ti coupes, ti dibites, quoi. Après quand l'arbre il tombe il faut se pousser vite. Sinon ti t'fais icraser.

Fasciné par le sens pratique de sa nouvelle connaissance, Röh-Lan décida d'accepter l'invitation à souper de Binel, car il s'appelait ainsi. Si si, c'est marqué plus haut.

–Il faut d'abord que ji ramasse li bois, sinon il va pas être bon à briler. Tiens ti m'aides, il faut li mettre dans li traîneau, comme ça, et après ti le sangles. On va monter sur li traîneau, et comme ma hutte est en contrebas, nous pourrons sans peine atteindre ce foyer où nous nous réchaufferons. Ensuite nous souperons, mon jeune ami, qu'en dites-vous?

Branlant du sous-chef, car Röh-Lan était un jeune homme bien élevé, les deux compères commencèrent à charger le bois de chauffe. Binel irait sans doute le troquer aux villages voisins par la suite. Les sangles solidement mises, ils prirent appui sur une bûche pour monter et s'asseoir à l'avant du véhicule de fortune. Le conducteur pouvait à sa guise actionner un levier qui libérait ou bloquait selon l'angle un travois en rotation libre à l'arrière du chariot. Cet astucieux montage permettait de réduire l'allure ou de laisser libre l'accélération. Binel débloqua l'ensemble et, le chariot, devenu tout inerte d'un seul coup, commença à se mouvoir doucement. Au fur et à mesure que les deux compagnons prenaient de l'allure, juchés à bonne hauteur du sol, la végétation devenait plus dense: ils pénétraient au plus profond de la forêt. Çà et là, des bwingosaures s'écartaient du chemin de l'imposant véhicule, qui commençaient d'ailleurs à avoiner pas mal. Des bosquets de buih-ssons leurs barraient le passage, mais cédaient bien vite sous le poids et la vitesse du traîneau. Les gougnaffiers prépondérants n'étaient plus que des traînées vertes aux yeux de Röh-Lan, et il commença à faire dans ses chausses lorsque Binel brisa le levier en forçant dessus. «Nardinamouk», laissa-t-il échapper. Frappant une irrégularité du terrain de plein fouet avec une viaulence qui me surprend moi-même, les sangles cédèrent et une bille de bois alla directement écraser la trogne d'un pacifique bougnoulodon qui passait par là. Projeté en l'air, Röh-Lan réussit ün exrectumüs à se raccrocher au travois.

C'est alors que Binel lui lança une phrase qui resta gravée à jamais dans la mémoire du jeune chasseux.

–Frine, friiiine !

–Ji peux pas, ji glisse !

Heureusement (?) pour eux, un énorme pinausaure à trompe fouisseuse passait par là, et l'incontrôlable traîneau alla tout de même se contrôler la gueule dans le gras du gros la viande. Mais rassurez-vous, et ébahissez-vous, un peu aussi, car cette histoire est sans doute la seule que vous lirez et qui se termine bien.

Car en vérité je vous le dis, avec leur traîneau, les deux amis démontèrent la gueule du pinausaure à trompe fouisseuse, et ils eurent de quoi bouffer pour l'hiver. Les peaux, convenablement tannées par la mère Binel, constituèrent un élément de base pour la nouvelle tente de Röh-Lan. La trompe de pinausaure permettrait même de faire une cheminée. Cool, non ?

Enfin bon, ça se finit bien… Oui et non. Les peaux nécessitaient une saison environ pour être utilisables, et Röh-Lan dût tant bien que mal passer l'hiver dans la cahutte de la famille Binel, à bouffer du couscous et des tagines de pinausaure. C'est mieux que rien, et c'est surtout mieux que d'habitude.

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« Jour de fête
par : Constance
L'infidele »
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rondpoint

Le 31 octobre 2009 à 03:04

Bon jour et bravo Corentin. Ton texte mérite largement d'etre publié. Tout y est, l'histoire, le style, l'humour. Je ne l'ai pas lu entièrement car il est tard, mais j'y reviendrais. Cordialement. Jacky.
Remonter au texte | #1124


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