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Quand tombe la nuit ... (Deuxième partie)

Publié le : 21 octobre 2007 à 18:49 par Corentin (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

LA RESURRECTION


Une fois en haut, j'eus comme un malaise. J'entrai précipitamment dans une chambre pour m'allonger sur un lit. C'est alors que je vis Maria, accoudée à une fenêtre. J'en eus le souffle coupé. Elle se retourna prestement et me dît très chaleureusement :

- Frédéric chéri ? T'est-il arrivé quelque chose depuis que nous avons été séparés dans ce long couloir ? Oh, ce n'est rien... Tu as toujours été un peu émotif et tête en l'air ... Souviens-toi, ici-même, dans cet hôtel ! Au moment de partir, tu disais avoir bien pris toutes nos affaires mais tu avais oublié cette vidéo que tu avais tournée ... Je me demande si elle y est toujours.

- Marie ? balbutiai-je.

- Je ne suis pas ta Marie ! fit-elle abruptement.

- Donc ... Tu es Maria... ? fis-je, complètement décontenancé.

- Je suis Maria si tu veux que je sois elle ... N'as-tu pas envie de moi? dit-elle, très sensuellement.

- Je ... ne sais ... pas... répondis-je mort de honte et de désespoir, totalement déstabilisé par l’attitude changeante de Maria. Tout ce que je veux de toi, c'est une réponse ... repris-je.

Elle s'approcha de moi, posa sa main douce et tiède sur ma joue. J’étais au comble de la confusion. Maria … ou Marie?

- Je suis là pour toi, Frédéric. Tu vois ? J'existe ... dît-elle.

Et alors que je me laissais aller et la prenais amoureusement dans mes bras, ma vue se troubla, je crus perdre l’équilibre, chancelant, quand la créature à tête de pyramide réapparut. Là, juste derrière Maria.

Je n'eus pas le temps de crier, que, déjà, la créature me l'avait arrachée des bras et me projetait contre un mur, tout en envoyant Maria à l’autre bout de la pièce, avec une incroyable violence. Tête de Pyramide brandit son arme et empala sauvagement Maria contre le mur. Elle n’eut même pas le temps de hurler. Le bruit de la chair transpercée retentissait dans mon esprit, plus encore que l’image, pourtant déjà insoutenable de Maria empalée sur ce mur couvert de sang dégoulinant.

- Non ! Laisse-moi, laisse-nous tranquilles, espèce de monstre ! C'en est trop ! hurlai-je.

Il venait de la tuer… A nouveau ?

Tête de Pyramide se retourna et me fixa de son improbable visage. Je retins ma respiration, tétanisé devant une telle monstruosité. Il était gigantesque, sa peau d’une texture indéfinissable ondulait étrangement et suintait. Sa tête pyramidale rougeâtre était immense. Une odeur infecte émanait de lui.

Tout en me faisant face, il tendit maladroitement un bras désarticulé vers l’arrière, enserra lentement le manche de son gigantesque couteau qu’il avait extrait d’un mouvement sec de sa gangue de sang, de pierre et de mort.

Maria s’écroula lourdement avec un bruit sourd, la face contre le sol. Je pus entendre le répugnant bruit des cartilages de son nez qui s’écrasèrent au moment où sa tête percuta violemment le sol. Tout était confus dans mon esprit, ma vue était totalement troublée et tourbillonnante. L’image de Maria gisant, inanimée, et baignant dans son propre sang qui se répandait maintenant à travers toute la pièce. La créature allait me tuer, j’en étais certain. Je baissais la tête, attendant mon tour ...

- Maintenant je comprends, j’étais si faible … C’est pourquoi j’avais besoin de toi … Besoin de quelqu’un pour me punir de mes péchés … murmurai-je.

Je pus alors vaguement voir Tête de Pyramide faire lentement demi-tour et quitter la pièce, traînant péniblement sa lourde arme, laissant un sillage dans le sang avec un bruit strident.

Je restai là, terrifié, je ne voyais plus rien tant le tourbillonnement des images s’accélérait tel un ballet infernal. L’équilibre n’était plus qu’une vague notion, oubliée … Etais-je agenouillé ou bien étalé tel un cadavre, dans le sang brûlant de Maria ?

Ma propre conscience me fuyait. Où était donc passé mon esprit ? Quand je repris connaissance, j’étais là, debout, considérant le cadavre de Maria. Elle gisait là, étalée dans son propre sang désormais figé. Son dos transpercé et ensanglanté laissait apparaître un infâme mélange de chairs, de tissu, de sang et d’os broyés. Alors que je m’agenouillai à ses côtés, une voix retentit :

- Frédéric ? Viens, je t'attends ! Rejoins-moi, chéri !

La voix venait de la chambre d'à-côté. Je quittai lentement la pièce, sentant avec dégoût le sang à moitié coagulé de Maria coller à mes pieds ...


LE CRIME


Personne. Juste une chambre tout à fait normale. Avec un lit, une table, des chaises, une télé, un magnét ... Une cassette vidéo posée sur la table basse ? Et ce magnétoscope qui semblait fonctionner ! Fébrilement, j'insérai la cassette. La séquence ne tarda pas à commencer. C'était «ma» vidéo.

- Tu enregistres encore? Oh ! Arrête un peu, et viens contempler avec moi cette magnifique vue sur le lac, disait Marie à l’écran.

Elle était magnifique. La vidéo la montrait devant la fenêtre de l'hôtel. Puis, plus rien. Ah, si. L'image revenait quelques secondes plus tard. Non ? C'est moi, sur la vidéo ? Et c'est Marie, allongée sur le lit ? C'était bien moi. La vidéo me montrait, m'agenouillant auprès de Marie, alitée. Puis, je ... l'étranglais. Elle ne se débattait même pas. L’image devint floue, incompréhensible. La vidéo prenait alors fin. J'étais consterné. Pétrifié. Etait-ce vraiment ce qui s'était passé ? Avais-je... tué Marie? Insensé ... Et alors … Qui avait bien pu tenir la caméra ?Quoi, encore cette voix ?

- Chéri? C'est toi ? Qu'es-tu encore venu faire ? Mais je me fous de tes fleurs ! Regarde moi, avec cette maladie, ces drogues ... je suis devenue un vrai monstre. Fous le camp ! Je ne veux plus te voir !

Je pleurai, seul, agenouillé devant le téléviseur qui ne diffusait plus qu'une image parasitée et instable. Un peu comme le reflet de mon état mental. Je voulais mourir. Je ne comprenais plus rien à ce qui m'arrivait. Voilà que je me faisais réprimander par ma défunte femme. Je devenais fou ... C'est alors que la voix reprit :

- Non, Fred ! Je ne voulais pas dire ça ! Excuse-moi ! C'est l'effet énervant de tous ces médicaments ! Je t'aime, Fred ! Viens près de moi ! J'ai besoin de toi ...

A ces mots, je prîs mon courage à deux mains, me relevai et sortis de cette chambre. Je pouvais distinctement localiser la voix : la terrasse ! J'accourais tandis que la voix reprît :

- J'ai besoin de t'avoir près de moi ... La fin est proche ... Je veux que tu sois là, que tu me dises que je ne vais pas mourir. Je t'en supplie !


REJOINS-MOI


Une fois sur la terrasse, plus rien. Juste une table trempée par la pluie, des chaises en tissu renversées. Personne. Je fis quelques pas vers la rambarde et remarquai quelque chose sur la table détrempée …

Une enveloppe ? Je la saisis délicatement pour ne pas en déchirer le papier ramolli. Précautionneusement, je l’ouvris pour en extraire une lettre manuscrite dont l’encre avait coulé mais qui restait néanmoins lisible. Encore une lettre de Marie ?


«Tu n’es toujours pas là ? Mais que fais-tu, Fred ? Je crains qu’il ne soit trop tard… Rejoins-moi… A ma dernière demeure. Si tu le veux … si tu le peux …

Marie.»


Marie ? Tu veux que je te rejoigne à ta «dernière demeure» ?

Comment est-ce possible ?

N’en pouvant plus de ce sordide jeu de piste, me sentant l’objet d’une machination perverse, je regardais furieusement tout autour de moi, cherchant un indice, une preuve que tout ça n’était qu’une diabolique mascarade. Mais rien. Je restai désespérément seul sur cette terrasse plongée dans le brouillard ...

«Ma dernière demeure»? Elle ne veut tout de même pas que je la rejoigne … au cimetière ? Oh, mon dieu ! Je m’accoudai à la rambarde, totalement désemparé, le regard perdu dans ce maudit brouillard qui semblait absorber mes pensées. Après quelques instants, je me demandai … Qu’avais-je à perdre ? J’avais déjà tout perdu.

Je descendis l’escalier et ressortis de l’hôtel. Je prîs la direction du cimetière.

A mesure que je m’en approchais, le brouillard se dissipait lentement. Enfin, l’horizon reculait. Etait-ce un signe ? Il ne resta bientôt plus qu’une brume opaque et blanchâtre, parcourue d’étranges ondulations comme si la brume était liquide, très bas sur le sol. J’accélérai ma marche. L’épais nuage semblait coller à mes jambes. La nuit se mettait déjà à tomber. Mon horizon se rebouchait aussi vite qu’il s’était entrouvert.

Très vite, je me retrouvai sous un ciel noir sans la moindre étoile uniquement éclairé par une lune grisâtre et faiblarde, voilée par de sombres nuages. Je n’avais plus ma torche électrique mais, scrutant intensément l’obscurité, je parvenais à voir quelques formes furtives… J’arrivais en vue du cimetière, semblait-il. Je longeai la forêt balayée par de violentes bourrasques de vent. Des feuilles mortes s’envolaient en tournoyant furieusement autour de moi. J’avais le visage et les mains labourés par ce vent glacial qui semblait surgir de nulle part. Les arbres secoués violemment par la tempête poussaient des hurlements lugubres à tel point que je crus entendre des bêtes hurler à la mort. J’aperçus alors, sur ma gauche, des blocs apparemment blanchâtres, à en juger par leur sinistre éclat dans la nuit … Des pierres tombales … ? Alors que je restais là à fixer les tombes, un bruit lancinant se fit entendre et reprit à intervalles réguliers. Impossible de localiser d’où venait ce bruit qui me déchirait les tympans ...

Sans chercher à comprendre, j’entrai dans le cimetière surplombé par de gigantesques arbres aux racines torturées et aux branches sinueuses et mouvantes sur lesquelles se découpait un ciel d’un noir infini. Le terrain était en pente abrupte, je m’avançai lentement dans les allées, scrutant avec difficulté les tombes, essayant de lire les noms qui y étaient gravés, redoutant le pire. Mon cœur battait à se rompre, la lecture de chaque épitaphe était un véritable supplice. Je mourrais un peu plus à chaque tombe inspectée ...

J’arrivai à la dernière allée en contrebas de toutes les autres, au bord du lac marécageux dont la surface malmenée par la tempête, était parcourue de furieuses ondes qui miroitaient faiblement. Je continuais à scruter les tombes, quand … mon sang se figea dans mes veines lorsque je compris, le visage presque plaqué sur le sombre marbre d’une tombe, que ma femme reposait sous mes pieds. Malgré l’obscurité tenace, je pouvais lire, hélas sans la moindre erreur possible, le nom de ma femme, gravé profondément dans la pierre … La tombe luisait de sombres reflets noirâtres, du lierre courait sournoisement sur la pierre, telles des chaînes scellant sa sépulture. Comment était-ce possible ? Marie avait été enterrée il y a trois ans, très loin d’ici ! Je tombai à genoux, passai ma main sur l’inscription gravée profondément… Je sentis la mort s’insinuer en moi.

Le bruit lancinant devint de plus en plus fort, l’obscurité ne m’avait jamais semblé aussi noire. Je pleurai toutes les larmes de mon corps tandis qu’une pluie torrentielle et glaciale commençait à s’abattre sur le cimetière comme une réponse sadique à la tiédeur de mes larmes, et aux dernières chaleurs de mon corps. Je grelottais, levai les yeux au ciel comme pour le défier. La pluie me labourait le visage avec une rare violence, tels des pieux tombés du ciel pour me punir de cet ultime affront.

Je baissai alors la tête avouant mon impuissance à forcer le destin.Un torrent s’était mis à dévaler le cimetière, charriant boue, branchages et feuilles mortes … J’étais gelé, trempé, cerné par les eaux. Je restais là, seul, abandonné de tous et de tout. Le torrent redoublait de violence, la tempête se déchaînait, de véritables trombes d’eau tombaient du ciel, le bruit répété devenait de plus en plus strident, la forêt semblait hurler de douleur. J’étais terrifié par ce déchaînement des éléments. Transi de froid et maculé de boue, je tentai de résister à la force du torrent en prenant appui sur la tombe de ma femme. Je sentais que mes forces me quittaient rapidement. Je poussai un long râle.

La masse d’eau s’insinuait avec force sous la pierre, creusant le pourtour de la tombe qui se mit à vaciller. Je n’arrivais pas à y croire, mais la tombe cédait sous les assauts démentiels de l’eau déchaînée. Pris de panique, je tentai de me relever mais j’étais irrémédiablement plaqué contre le bloc de marbre qui semblait sur le point de se dérober. Je regardai frénétiquement les alentours, cherchant une solution, une échappatoire, quand, à quelques mètres de moi, à travers la pluie battante et l’obscurité tenace, je crûs reconnaître la gigantesque créature des bas-fonds de la ville qui luisait d’un aberrant reflet blanchâtre, en train de me fixer du regard.

Je la fixai aussi, totalement paniqué. Suffocant, j’attendais un geste, quelque chose, redoutant qu’elle ne soit là pour me juger et pour me condamner de mon horrible crime. Mais était-ce seulement bien elle ? Brusquement, le sol boueux s'effondra sous mon poids, découvrant le caveau dans lequel le torrent m’entraîna aussitôt …


LE CAVEAU


J’étais étalé comme une loque au fond du caveau, la face écrasée contre le sol boueux. Je tentai de me relever, en vain. J’étais épuisé, je ne sentais plus mes membres engourdis par le froid. Je sentais bien que, cette fois, c’était la fin …

C’était pitoyable, j’avais su échapper à toutes ces créatures sordides et grotesques et c’était le froid et l’épuisement qui allaient avoir raison de moi. Péniblement, je relevai un peu la tête. Une douleur intense me parcourut la nuque. J’aperçus le cercueil, plongé dans les ténèbres à quelques mètres de moi … J’y étais. Je n’avais pas retrouvé Marie vivante mais je la retrouvais enfin. Je me faisais à l’idée que j’allais pouvoir mourir à ses côtés, lorsque … je me dîs que c’était trop bête. Marie ne pouvait pas être ici dans ce cercueil, dans ce caveau.

Elle avait été inhumée à des centaines de kilomètres d’ici, il y a trois ans. Je n’allais tout de même pas crever la gueule ouverte, de froid et de fatigue, dans ce maudit trou puant, près d’un cercueil vide ? Il ne pouvait qu’être vide, enfin !

Je rassemblai les dernières forces qui me restaient et me relevai tant bien que mal. Je me traînai, titubai lentement jusqu’au cercueil détrempé. C’était un cercueil horrible, fait de simples planches vaguement clouées. Un mince filet d’eau pestilentielle s’en écoulait. Fou de haine, de rage et de désespoir, je martelai furieusement le couvercle et passai mes doigts entre les planches vermoulues pour les arracher.

- Marie !!! Espèce de … pute … !!! Que veux-tu à la fin ? Où es-tu réellement? Réponds, espèce de salope, hurlai-je à tue-tête.

Je m'acharnai sur le cercueil, tel un aliéné, alors qu’une odeur infâme commençait à se répandre dans le caveau. Je parvins à arracher sauvagement une planche, puis une autre, les mains ensanglantées, criblées d’échardes … J'éclatai d’un fou rire démentiel en pulvériserisant totalement le cercueil.

- Salope !!! Je te hais !!! Je ne te laisserai pas me détruire, tu entends ? hurlais-je penché sur le cercueil.

Je m’arrêtai subitement, reprenant mon souffle. Je fixai le vide devant moi. Une épaisse buée émanait de mes poumons pourtant glacés. Je baissai la tête, regardai mes mains rouge sang, mes vêtements crasseux et trempés. Ce cercueil défoncé dans lequel gisait ce …

Je découvrais l’atrocité de mon acte. J’étais en train de violer une tombe, celle de ma propre femme …? Mais il était trop tard. Je pouvais désormais la voir … la mort … en face … Un semblant de visage, une longue chevelure crasseuse. Une femme dans un état de décomposition très avancé.

La peau était d’un gris verdâtre, déchirée en de nombreux endroits. Des lambeaux de chairs pourris ondulaient, se décrochaient. Je devinais des dizaines d’asticots gesticulant sous les chairs dont ils étaient en train de se repaître avec délice … Les yeux étaient écrasés dans leurs orbites, un liquide purulent coulait sur les joues de cette infamie, tel un flot de larmes. Une odeur insoutenable flottait dans l’air. Marie ? Etait-ce bien toi ? Ce cadavre pestilentiel ? Avais-je pu aimé une telle… abomination ? C’était abjecte !

- Fred ? Enfin ! Je t’attends depuis si longtemps, retentit soudainement une voix dans mon dos.

Je me retournai prestement. Je devais avoir l’air d’un dément, maculé de boue et de sang avec mon air hagard à côté d’un cercueil défoncé dans lequel reposait cette horrible chose.

Et là … je la vis. Devant moi. Cette fois, aucun doute possible. C'était bien elle. Ces vêtements, ces cheveux, ce visage, cette expression ... Marie. Ma Marie chérie.

- Marie! criai-je, fou de joie, les yeux emplis de larmes...

- Encore perdu, dît-elle, l'air mauvais, avant de se changer en Maria.

A cet instant, je ne comprenais plus rien. Mon esprit était vide de toute réflexion. Un hurlement, ma vue qui se troubla. Encore. Tête de Pyramide était là. Je vis l'arme effrayante se brandir, puis s'abattre sur moi ...

Mes cervicales furent instantanément désolidarisées. Dans la plus totale confusion, je vis mon corps, décapité, s’éloigner de moi en s’effondrant aux pieds de Maria, relâchant des litres de sang fumant dans la froideur du tombeau, puis ma tête s’en alla rouler. Le silence. Seules les dernières images tourbillonnantes de cet instant de mort parvinrent à ma conscience. Le sol. Le cercueil. Maria. Le plafond. Les pieds de Tête de Pyramide. Son arme démentielle.

Je m’arrêtai net contre la lame qui venait de me destituer de la vie … Mon propre sang me submergea de l’intérieur. Le voile noir. Puis plus rien.


ADIEU


Je rouvris les yeux, étonné, dégoûté d’être en vie … La face plaquée dans des restes d’excréments et d’urines. L’odeur épouvantable de ces déjections me brûlait les narines. Mais peut m’importait au fond car je savais. Je le méritais. J’étais une ordure.

Je gisais sur le sol, dans ces infâmes toilettes publiques. Là, juste sous mes yeux, ultime preuve de mon égoïsme et de mon inhumanité, détrempée et dégoulinante : la lettre …


«Dans mes rêves tourmentés, je vois cette ville ... "Sainte Âme". Tu avais promis de m'y remmener un jour. Tu ne l'as jamais fait. J'y suis seule désormais. Je t'attends, dans notre endroit à nous. On m'a transportée à l'hôtel. Tu te souviens ? Comme je vais bientôt mourir, le médecin m'a dit que je pouvais quitter l'hôpital et qu'il t'avait demandé de venir m'aider à passer ce dernier cap. Quelle bonne nouvelle ! Cela fait maintenant trois ans que je ne t'ai plus vu, depuis ta dernière visite à l'hôpital.

J'ignore pourquoi tu m'as abandonnée. Enfin, je devine que c'est à cause de tous les problèmes, malheurs et tracas que je t'ai causés. Je ne pouvais pas croire que j'allais mourir. Alors ... Je m'en suis pris à celui que j'aimais le plus ... Toi, Frédéric. Même quand tu es venu me voir à l'hôpital pour la dernière fois, je t'ai repoussé sous l'effet de ces médicaments qui me rendaient invivable. Je t'ai rappelé mais tu n'as pas dû m'entendre puisque je n'ai t'ai plus revu ... J'admire déjà ton courage, pour m'avoir supporté durant ces longs mois où je t'ai rendu la vie impossible. J'espère que tu viendras et que tu ne m'as pas oubliée ... Je t'aime.

Marie.»


Comment ai-je pu être à ce point aveugle pour ne pas vouloir lire le reste de cette maudite lettre ? Etais-je devenu fou ? Impardonnable en tous cas. C’est le choc de cette convocation ... Je crois que... dans ma tête, Marie était déjà morte.

Après l'avoir vue tant souffrir durant les premiers mois de sa maladie, elle est devenue invivable, m'a rendu la vie impossible, ne voulait plus me voir. Alors, j'ai pris la décision de l'emmener à l'hôpital. Inconsciemment, je l’abandonnais déjà. Pour cela, j'avais ... j'avais choisi l'hôpital de Sainte Âme, cette petite ville que nous aimions tant. Et effectivement, la dernière fois que je lui avais rendu visite, elle m'avait rejeté. Une fois de plus ... Une fois ... de trop ...

On m'avait dit que c'était fini, qu'elle n'en avait plus que pour quelques jours alors Dieu seul sait comment, je l’ai oubliée ... J’ai cru à sa mort tandis qu'elle agonisait, lentement, durant ces trois longues années ... Quel monstre je suis ! Et cette convocation, après m'avoir brusquement révélé l'étendue de mon égoïsme, m'a fait plonger dans ce délire halluciné. J'ai cédé à la folie et ... ce cauchemar ... Maria ... révélateur ... Enfin.

Il me reste une chose à faire très importante. Accompagner Marie pour son dernier voyage. Puisse t-elle me pardonner.


EPILOGUE


Les volets sont fermés depuis longtemps. Quelques rares rayons lumineux se fraient encore un chemin à travers l’atmosphère suffocante et poussiéreuse de cette petite chambre d’hôtel. Lentement, je tends la main vers la lumière, tente d’en saisir l’essence mais rien n’y fait. Les rayons lumineux dansent élégamment sur ma main, se dérobent, insaisissables comme les instants de bonheur que cette vie n’a plus jamais voulu m’offrir depuis la mort de Marie.

Je jette un bref et dernier coup d’œil à cette chambre délabrée où j’aurai vécu mes derniers instants. Un lit défait, des vêtements jetés par terre nonchalamment, quelques restes d’aliments peu ragoûtants. Inexorablement, j’en reviens à cette arme qui m’obsède depuis déjà si longtemps. Assis devant cette table bancale, je me balance sur ma chaise qui craque dangereusement. Je compte les balles. A quoi bon ? Une seule suffira.

Péniblement, je m’achemine vers mon dernier instant. Je pose ma main sur l’arme qui m’inonde aussitôt de sa froideur de métal. Fébrile, je prends une grande inspiration, tente de rebrousser chemin. Mais rien ne vient. L’air est asphyxiant pour celui à qui la vie n’a plus jamais souri. Je ne m’en serai jamais remis. Il est temps.

Je prends une balle, la porte juste devant mon regard. J’observe longuement l’objet qui va me traverser la tête dans un instant. Déjà, la balle me traverse l’esprit. Comme pour tenter de repousser mon ultime instant, cherchant une improbable raison de m’accrocher à la vie, je manipule lentement l’objet de mort, le soupèse, le fait tourner dans un mince filet de lumière qui rebondit puis s’en va percuter ma rétine, me rappelant ainsi que l’heure n’est plus aux pleurs mais à l’achèvement.

Je glisse lentement la balle dans le barillet, brandis l’arme, faisant mine de viser le mur puis je retourne le canon contre moi. C’est pathétique. J’en suis réduit à m’ôter la vie car je n’ai jamais su la ressaisir. Il faut en finir.

J’ouvre la bouche pour y faire glisser maladroitement le canon. Avec un bruit sourd et révulsant, le métal me percute les dents et avance en ripant. C’est froid. La chaleur moite de mon corps va bientôt se confondre avec la froideur macabre et sèche du canon.

Je ferme les yeux. Ainsi commence la fin. J’essaie de déglutir mais le canon m’en empêche. Mon palais et ma gorge s’assèchent. Je tremble. J’ai peur. Ai-je seulement le droit de faire cela? Vais-je retrouver Marie … ?

J’imagine déjà la terrible déflagration qui va m’arracher du monde des vivants, mon crâne en train de se vaporiser dans l’air environnant, mon corps retombant mollement, les yeux révulsés, en lâchant le canon encore fumant. La moquette imbibée de liquide sanguinolent. Le papier peint recouvert de cervelle broyée dégoulinante. Les gens qui vont arriver en courant, alertant tous les habitants. L’horreur les envahissant. La nausée les gagnant. Mais je dois en finir. J’appuie lentement sur la gâchette, entends un léger cliquetis.

C’est fini.

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Rédiger un commentaire sur ce texte Votre avis sur ce texte … (4 commentaires)

Lecteur de passage (Grégoire)

Le 23 octobre 2007 à 23:14

Il faut avoir le coeur bien accroché pour cette deuxième partie.
Glauque à souhait presqu'à outrance, je suppose que c'était l'effet
recherché
Remonter au texte | #546

Avatar de Vagabonde

Vagabonde

Le 24 octobre 2007 à 22:09

N'y connaissant rien en matière de jeux videos, j'ai lu cette nouvelle sans a-priori et uniquement d'un point de vue "littéraire", j'ai trouvé ça un peu long.
Tu fais beaucoup de descriptions, sans doute trop, et au lieu de me captiver, ça a fini par me lasser.
Ton style est globalement bon mais il aurait besoin d'être un peu épuré.
Tout ça bien évidemment n'engage que moi et je suis sûre que tu trouveras des amateurs ! ;)
Remonter au texte | #551

Lecteur de passage (Christophe)

Le 04 novembre 2007 à 16:49

Sacrée atmosphère mais pas besoin d'aimer les jeux videos pour se laisser prendre par l'action.
Remonter au texte | #597

Lecteur de passage (teo)

Le 22 novembre 2007 à 21:53

vraiment bien ta nouvelle.J'me suis régalé
Remonter au texte | #651


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