test

  • ~ 2 lecteurs en ligne

Michael (Première partie)

Publié le : 08 décembre 2007 à 10:26 par Corentin (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

J’ouvre les yeux, lentement. Je me réveille, la tête contre la vitre brûlante. Je regarde le paysage défiler. C'est l'été. Un bref coup d’œil à ma montre. Combien de temps ai-je dormi? Encore deux heures dans ce petit train vide, cahotant en plein cagnard. J’aime beaucoup. Ca bouge pas mal mais ça me gêne pas. J’ai soif. Quelle chaleur. Je sue à grosses gouttes. Ma bouteille. Où est-elle? Là, sous le siège d’en face. Je bois une longue gorgée d’eau gazeuse dégazée et brûlante. Immonde. Un frisson me parcourt le corps. Mais j’ai si soif. Ces vacances me feront du bien … Enfin, ce ne sont pas vraiment des vacances, mais c’est comme ça que je les vois parce qu’après dix mois passés à taffer comme un fou dans cette putain d’école d’archi, ce job imposé par l’équipe pédagogie-communication me fera du bien.

Je me suis trouvé un petit job, via un pote, dans un petit restaurant en Provence. Rien à voir avec l’archi, je sais, mais un CDD suffisait on m’a dit. Donc voilà… Après dix mois de boulot, l’idée de travailler dans un resto, c’est reposant, en fait, car je sais qu’aucun cours de maths ne m’attend à la descente du train. Que du bonheur.

Le paysage se fait de plus en plus aride avec ses forêts de pins desséchés. Je sue à grosses gouttes. Mon siège en faux cuir est trempé au niveau des jambes. Ca brille de sueur. Je ferme les yeux. Cette chaleur étouffante, écrasante, est en fait délicieuse. Je me rendors, le sourire au lèvre. Le plaisir rare et fragile de se laisser aller. Fragile car, combien de fois, sachant que j’avais un peu de temps, je me suis mal organisé et j’ai galéré, ne parvenant même pas à profiter de mon temps, et me retrouvant finalement avec trois tonnes de boulot en retard. Enfin. Etrange, ce petit train vide de tout être humain. Marrant. Plaisant. Je peux me lever, faire ce que je veux. Faire le con. Je nettoie la vitre poussiéreuse avec ma sueur qui s’évapore instantanément. Il fait si chaud. Mais la fin de journée s'annonce. Le soleil commence à rougeoyer. La douceur de soirée d’été va arriver. Je me rendors, bercé par les à-coups du wagon.

Le train allait repartir, je me suis réveillé juste à temps. J’ai pris mon sac, à l’arrache, et j’ai sauté du train. J’ai oublié ma bouteille d’eau. Pas grave.

Ce doit être lui, Francis. Je l’ai jamais vu, mais Charles me l’avait bien décrit, semble-t-il. La cinquantaine, grande moustache, gros ventre, visage tout rouge. Et avec un polo rouge tout crade. Bravo, Charles, en plein dans le mille. Lui aussi m’a reconnu, peut-être plus parce que je suis le seul passager descendu de ce train que grâce à une hypothétique description … Car comment me décrire … Oh, allez, c’est vrai que je suis assez grand, les cheveux longs. Mais bon.


"Alors, c’est toi, Jonathan ? me dit le supposé Francis.

-Oui, vous devez être Francis ?

-Tu peux me tutoyer. Et m’appeler Bob.

-Bob ?

-Oui je sais, rien à voir avec Francis mais ça fait des années que mes vieux potes m’appellent comme ça, z’ont jamais trop voulu me dire pourquoi. Et puis je m’en fous.

-Bah ouais, tant que ça vous … que ça te plaît … Bob.

-Ouaip. Allez on est parti !"

Francis prend mon sac et on quitte le quai de cette petite gare paumée. Un pick-up rouge tout déglingué. Francis balance mon sac dans le coffre. On démarre.

"C’est loin ? dis-je.

-Non, pas très, une petite heure.

-Ah … Quand même !

-Woh, ouais. Tout est relatif, lâche Francis, amusé.

Alors comme ça tu veux faire cuistot ?

-Nan, c’est pas ça. En fait, Charles a dû vous le dire, je suis en école d’archi. Mais j’adore aussi faire la bouffe. Alors, comme il fallait que je me trouve un job de six semaines, et vu qu’avec seulement une année d’archi j’avais aucune chance de trouver un truc dans ce secteur, bah voilà, quoi. C’est un petit resto, hein ?

-Ouais. Y s’appelle le Fin de journée mais on fait le petit-dej aussi. On est que trois cuisiniers, avec toi. C’est un truc simple, tu sais, c’est pour ça que je t’ai pris sans problèmes.

-Cool, ça va être tranquille. Mais je cuisine bien, vous savez.

-On verra ça. Michael est très bon aussi.

-Michael ?

-Le troisième cuisinier. Il a ton âge, je crois. T’as vingt ans, c’est ça ?

-Non, dix-neuf mais c’est pareil.

-Ouais. Tu dois être crevé, non? T’arrives de Lille ?

-Ouais. Ca fait long en train. Mais j’aime bien."


Le pick-up avançait tranquillement. On roulait dans la campagne. C’était peinard. Il commençait à faire plus frais, l’air s’engouffrant dans le pick-up aidant, je me suis laissé aller, et j’ai dormi. Encore. Faut dire que j’avais à peu près 200 000 heures de sommeil à rattrapper de l’année …

"Bien pioncé ? me lance Bob.

-Hein, quoi ? Je me réveille en sursaut …

Ah ? Oui, bien dormi … dis-je, esquissant un sourire."

J’attends un peu avant d’ouvrir la porte et de descendre de la voiture. Je savoure l’instant. Le soleil est en train de se coucher. Au loin, les champs sont baignés d’une lueur rougeoyante. Il fait maintenant plus frais. Je descends. Nous sommes garés devant le restaurant.

C’est une bâtisse assez imposante sur la place de ce qui semble être un assez petit village. Paisible. Fin de journée. Bob ne m’a pas menti, son restaurant s’appelle vraiment comme ça. J’aime bien, c’est sympa. Il y a une terrasse assez grande, l’intérieur ne semble pas mal non plus. Quelques clients dînent à l’intérieur dans une atmosphère tamisée, subtilement éclairée par des bougies.

"Bon, tu viens ? Je vais te présenter aux autres ! me lance Bob avec mon sac sur l’épaule.

-J’arrive, dis-je tout bas, lui lançant un regard de confirmation."


Un vent frais balaye la place du village. Des brins d’herbe séchée s’envolent en tourbillonnant. Un chien se balade tranquillement. Une très jolie femme sort par la porte du restaurant qui donne sur la terrasse et va à la rencontre de Bob. Ils s’étreignent brièvement et se tournent vers moi. Je reste bouche bée devant la beauté de cette femme.

"Gamin, je te présente Isabelle, ma femme."

Wow. Intimidé par une telle beauté, je m’avance vers eux lentement. Isabelle doit avoir la trentaine. Elle me prend déjà dans ses bras et me fait la bise. Charles m’avait bien dit que je serais bien traité.

"Tu peux m’appeler Isa, si tu veux. Et toi, alors, c’est quoi ?

-Jonathan. Tu peux m’appeler Jojo, dis-je, du tac au tac.

Ils ont l’air si gentil. Il faut bien se lancer.

Un énorme labrador surgit alors du restaurant, et, après un long dérapage pas franchement contrôlé, se jette sur Bob.

-Ah, Jojo, je te présente Hugo, notre chien. Il est adorable, tu vas voir ! dit Bob.

-J’adore les chiens. Alors, Hugo, ça va mon gros? Oh bah oui, t’es un beau chien, hein ! dis-je avec un large sourire, caressant l’énorme bête essoufflée par tant d’émotions.

-Bon, allez, à table! Tu dois crever de faim ! Non, pas toi, Hugo, t’as déjà bouffé! dit Bob, mort de rire."


Bob et Isa disparaissent déjà dans la pénombre de la grande salle à manger. «C’est un petit truc, tu vas voir…» Ouais, petit, c’est vite dit… C’est grand, ouais! Et Isa … Cheveux bruns mi courts, grands yeux bleus azurés, visage d’ange … Bon, faut pas faire le con. C’est pas paske Charline m’a plaqué que je dois faire le con. Je crève de peur que ce soit réellement fini entre elle et moi. Je suis fou d’elle. Je ne dois pas y penser, j’espère que cette séparation n’est que temporaire, sinon …

"Mais oui, t’es un bon chien, Hugo. Fais gaffe, tu vas me faire tomber, tout doux ! dis-je à Hugo.

-Bon, tu viens ? me souffle Isa à l’oreille.

Grand frisson … Ce visage magnifique, à quelques centimètres de moi sur mon épaule. J’en ai le souffle coupé …

-Euh … Oui … murmure-je, intimidé.

Isa est déjà repartie. Je la suis, me faufile entre les tables, l’observe. Elle est habillée avec une mini-jupe et un tailleur sublimes. Ne pas jouer au con, surtout. Quelles jambes. Putain ! Je dois arrêter ça tout de suite. Je rejoins Bob et Isa à leur table dans une jolie petite cour de gravier avec quelques arbres.

-Sympa, non, cette cour ? dit Bob avec un sourire jusqu’aux oreilles.

-Oui, la terrasse dehors est pas mal non plus, dis-je.

-Allez, mangeons ! lance Isa. Je meurs de faim.

-Oh oui, moi aussi ! J’ai grave la dalle ! dis-je.

Isa me regarde alors un instant et éclate de rire.

-Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? je demande gêné mais content de la faire rire.

-Nan, rien, moi aussi je crève la dalle, me répond Isa, les yeux brillants …

-Ah, d’accord …

Je m’assieds, tente difficilement de caler mes quatre pieds de chaise dans les graviers. L’entrée est déjà servie. Tout le monde mange avec entrain. Le rosé coule à flots. J’ai envie de me noyer dans les yeux d’Isa. Isabelle. Quel nom magnifique. Et elle qui n’a pas l’air de se douter que je lui sauterais dessus volontiers … Si elle savait …

-C’est Michael qui est aux fourneaux, Jonathan. Je lui ai demandé de venir nous servir. Il est cuistot mais aussi serveur. Faudra t’y mettre aussi, dit soudain Bob.

-Pas de problèmes, répondis-je, en me resservant du rosé.

-T’as une bonne descente, mon gars ! me lance Bob avec un large sourire.

-Oh … Oui, pardon … dis-je, gêné.

-Mais non, c’est rien. Tu es grand, tu fais ce que tu veux. Du moment que les clients sont contents, dit-il.

Ah ! Voilà Michael !


Je me retourne prestamment histoire de voir la tête de mon partenaire de fourneaux. Ma vue se brouille. Le rosé, sûrement. C’est toujours pareil, ça va, mais dès qu’on tourne la tête ou au moindre geste brusque, on perd le nord. Se concentrer. Je n’ai pas bu tant que ça, mais ça surprend. J’aperçois alors un jeune homme, bien habillé, les cheveux bruns et courts, fixés avec du gel, aux grands yeux noirs, qui se dirige prestamment vers notre table. Me voyant, il semble ralentir quelque peu sa course, puis repart de plus belle. Michael arrive à notre hauteur, et nous sert. Ca sent rudement bon.

-Michael, je te présente Jonathan, dit Isa.

-Salut, lui dis-je, en lui tendant la main.

-Salut ! Alors comme ça, t’es mon nouveau collègue ? lance Michael d’une voix assez fluette.

-Ouais, et j’ai hâte de m’y mettre.

Michael semble hésiter, il me regarde un instant, puis reprend :

-Bon, euh… On fera plus ample connaissance après le dîner, j’ai du boulot, ok ?

-Euh … Ouais, à toute ! dis-je.

Michael s’en va alors rapidement et fonce à la cuisine.

-Il a beaucoup de boulot, ce soir, car normalement on est au moins deux, mais ce soir il est seul et c’est un peu à cause de toi ! Je pense qu’il a hâte que tu lui donnes un coup de main, dit Bob, l’air amusé.

-Pas de problèmes."


Le dîner se poursuit tranquillement. Je fais plus ample connaissance avec mes deux employeurs. Francis, alias Bob donc, a toujours habité ici, et a repris le resto de ses parents. Il a connu Isa alors qu’elle était venue ici en vacances, il y a cinq ans. Ils se sont mariés il y a quatre ans. Une donnée qui résonne dans mon esprit. Quatre ans … seulement. Et le courant passe bien entre elle et moi. Enfin, je crois. Elle a beaucoup voyagé avant ça. L’Asie, l’Afrique, l’Amérique du sud … Forcément, en tant que photographe … Mais je dois arrêter de penser à ça.

Hugo me fait les yeux doux. Ce sont mes restes que tu veux, hein ? Le dîner prend fin. Etat d’ébriété totale de ma part. Bob n’est pas mal non plus. Isa, ça va. Je parviens tant bien que mal à dissimuler le regard affamé que je dois lui lancer.

-Bon, Jonathan, nous on va aller se coucher alors, toi, tu vois avec Michael. Y a une piaule dans la maison si tu veux. Michael préfère camper au fond du champ. C’est toi qui vois …

Allez à demain, tu trouveras Michael aux cuisine, termine Bob.

-Bien, à demain … "


Je regarde Isa repartir au bras de Bob, non pas jaloux mais clairement envieux. Hugo vient me lécher la main ... Mais oui, t’es un super bon chien ! Je le regarde un instant droit dans ses grands yeux noirs. J’aime les chiens. Je les adore. Ils sont tellement gentils. Loyaux. Et surtout tellement drôles … Bon, Michael … Je me dirige tranquillement vers les cuisines, traverse la salle à manger vide de tout client. Michael est en train de passer la serpillère au fond de la cuisine. Il ne me voit pas encore. Je remarque à ses bras qu’il est plutôt baraqué. Je le suis aussi, mais moins que lui, quand même. Enfin, je crois. Je m’avance vers lui. Il se retourne, sentant ma présence.

"Ah ! Jonathan. Alors … tu les trouves comment nos employeurs ? dit-il.

-Géniaux, vraiment … Et Isabelle … Trop trop belle.

-Ah ouais ? Tu trouves ? Ouais, j’avoue, elle est pas mal mais t’as quand même pas des vues sur elle ?

-Bah …

-Ah j’y crois pas ! T’es trop, toi ! T’arrives comme ça, peinardos, et tu mates la femme de ton employeur, dit-il mort de dire.

-C’est pas ça, je la mate pas, faut pas exagérer, mais c’est vrai qu’elle est vraiment bien.

-Tu sais, les filles, c’est pas ce qui manque ici. On a beau être paumé en pleine cambrousse, c’est qu’une apparence. Tu verras, y a quelques jolies jeunes touristes.

-Sérieux ? Mais t’as commencé quand, toi? Et tu viens d’où ?

-Moi, je suis du coin, pas très loin. J’ai commencé y a deux semaines.

-Et alors comme ça tu pieutes au fond du champ ?

-Ouais, j’adore la nature. Et c’est super calme, en bas, au bord de la rivière.

-Je me laisserais bien tenter. Moi aussi je suis très nature …

-Cool ! On y va ! J’ai fini de nettoyer et j’ai une gentille bouteille de rhum arrangé …

-Merci, mais je crois que ça ira pour ce soir. J’ai un peu abusé du rosé je crois.

-J’ai vu ça, c'est moi qui vous envoyais les bouteilles, dit-il, un sourire en coin. Allez on est parti !

Toujours cette voix fluette. Michael se dirige vers la sortie, je lui emboîte le pas en trébuchant.

-Effectivement t’as bien bu ! me lance Michael en riant.

On va pas se faire chier à monter une deuxième tente ce soir, on verra ça demain, vu ton état. T’as qu’à pieuter dans la mienne, elle est grande. Par contre y’a zero matela ! J’espère que ça te gêne pas, moi j’ai l’habitude."


On traverse la terrasse, la rue. On arrive dans le champ. Hugo part en balade avec nous, ravi d’être avec des amis. Il court dans tous les sens, la gueule grande ouverte, la langue pendante. Il renifle absolument partout.

Le terrain est en pente douce. La lune est haute dans le ciel magnifiquement étoilé. Il fait bon. L’herbe n’est pas mouillée par la rosée. Tout est définitivement très sec. Michael avance d’un pas assuré. Moi, moins. Ne pas me casser la gueule. Les cigales s’en donnent à cœur joie, ce soir. J’adore ce bruit. Certains trouve ça insupportable, moi ça me détend. Ca me berce. J’avance en titubant. Le vent balaye le champ. Rafraîchissant. En contrebas, on entend l’écoulement de la rivière, entre les rochers. Michael me tend une chaise. Je me pose, tranquille. Un verre de rhum. Un pétard. Bonne soirée. Les étoiles semblent danser dans le ciel. Je pense aux yeux d’Isabelle. Je me sens bien. Charline. Tout de suite, je me sens moins bien. Beaucoup moins bien … Charline… J’ai besoin de toi …Je t’aime …


J’ouvre les yeux. Je crève de chaud. Cette tente est un vrai four. Il a l’air de faire grand jour dehors. Putain, nan ! Qu’est-ce que j’ai foutu ? Je me lève péniblement, en sueur, avec un vieux mal de crâne. Oui. Il doit être facile midi. Putain ! Je plonge la tête dans la rivière, passe un nouveau t-shirt, remonte le chemin, traverse la rue. Je vais droit aux cuisines… Michael fait la cuisine…

"Ah … Jonathan ? Bien dormi ? dit-il d’un air moqueur.

-Ouais bof, gros mal de crâne. Putain, qu’est-ce que j’ai foutu hier soir ?

-Bah … alcool-pétard-alcool … t’avais surtout trop bu.

-Ouais. Et Bob ? Ca la fout mal non pour un premier jour de boulot ?

-Penses-tu ! Il était mort de rire ce matin quand je lui ai dit que tu comatais dans la tente. Y a pas de problèmes mais faut pas que ce soit systématique, c’est tout. Et puis tu m’as bien fait marrer …

-Quoi ?

Bob entre soudainement dans la cuisine, me sert la main avec un clin d’œil et dit :

-Pas de soucis. Mais pas tous les jours, ok ? Allez au boulot !

-Merci … Vraiment désolé …

-Pas de ça ! C’est rien je te dis ! Allez, tu me les fais, ces brochettes ?

-Tout de suite !

Bob quitte alors précipitamment la cuisine, le téléphone sonnant à côté.

-Qu’est-ce que je t’avais dit ? Pas de problèmes ! déclare fièrement Michael.

-Ouais, c’est vraiment cool … Alors ? Qu’est-ce que j’ai dit de si drôle ?

-Oh rien. T’as déliré sur une certain Charline … dit-il en me regardant dans les yeux.

-Ah, ok, d’accord.

-C’est tout ? Tu me dis même pas qui c’est ? relance-t-il après un moment, assez dépité.

-Ma copine. Enfin, je l’espère encore. On a rompu mais j’espère que ça va aller, qu’on va se retrouver.

-Mouais … Tu sais, sans remettre en cause que tu l’aimes, moi, j’y crois pas.

-Quoi, comment ça, t’y crois pas ?

-Bah, disons que j’ai suffisamment d’expérience pour te dire qu’à notre âge, recoller les morceaux, c’est du bidon. Faut faire son deuil, vieux … dit-il convaincu.

-Merci de me rassurer, t’es cool, toi ! C’est vrai que gaulé comme t’es t’as dû en voir passer des filles …

-Oh … Pas tant que ça, en fait … Allez, on a du pain sur la planche ! Au boulot ! tranche t-il.

Au milieu des vapeurs d’eau et d’huile, les plats défilent entre nos mains avec leur cortège d’odeur épicées. C’est horriblement tentant. Je crève trop la dalle. Je me jette sur la charcuterie et engloutis plusieurs tranches de saucisson.

-C’est pô bien ! dit Michael qui m’imite en se jetant sur le jambon.

Les plats se succèdent frénétiquement en flux tendu.

-Putain, y a du monde aujourd’hui ! C’est toujours comme ça ? Je demande à Michael.

-En gros, ouais. T’as du mal ?

Je ne réponds pas et préfère me concentrer sur le défilé de poissons que je dois gérer.

-Galère, hein ? me lance Michael, avec un clin d’œil, voyant que je suis pas mal paumé au milieu de toutes ces soles panées.

-Ouais, dis-je en souriant.

-Mfff …

-Quoi ?

-Nan, rien ! Mff… La gueule de tes soles panées … Beuark !!! Mfff …

Michael est penché sur ses plats. Pris d’une quinte de toux, il se met à rire jusqu'à en avoir les larmes aux yeux.

-Arrête, je vais jamais m’en sortir avec ces putain de soles !!! T’es pas drôle ! dis-je mort de rire à mon tour.

Les fous rire, c’est destructeur. Incroyablement destructeur. Ca vous démolit la plus grande concentration.

Les plats qui sortent de la cuisine, prêts à être servis, commencent à prendre des allures de zones sinistrées.

Bob fait alors irruption, furieux …

-Nan mais c’est quoi ce bordel ? C’est pas possible des plats avec une gueule pareille ! Qui m’a fait cette sole en forme de bite, nom de dieu !?!

Grand silence. Notre fou rire n’était visiblement pas aussi inextinguible qu’on aurait pu le croire.

-C’est moi, dit soudain Michael, feignant un air coupable.

-Eh beinh t’arrêtes tout de suite tes conneries ! Je veux bien être cool mais faut pas non plus déconner ! Calmez-vous et faites votre boulot correctement ! Je vous le dirai pas deux fois ! Ok ?

-Désolé, monsieur, dis-je. On s’y remet sérieusement.

Sur ce, Bob quitte la cuisine, quelque peu calmé.

-Merci …Je crois qu’après le coup de ce matin, ç’aurait fait too much ! Faut que j’arrête les conneries, dis-je à Michael en me tournant vers lui.

-Pff, de rien. Faut bien s’entraider. Allez ! Pane-les tes putains de sole !dit-il avec un sourire en roulant des tortillas.


Le reste de la journée s’est passé tranquillement. La tronche de nos plats s’est sensiblement améliorée. Les clients étaient contents, Bob aussi. Nous aussi, par voie de conséquence.

Les derniers clients sont partis. C’est la fin d’après-midi. Ce soir, c’est fermé. Nous nettoyons la cuisine à grande eau – faut dire qu’on a foutu un sacré boxon. Si l’inspection sanitaire se pointait …

Je passe la serpillère tranquillement. Les cigales commencent à se faire entendre. J’entends soudains des bruits de pas précipités dans mon dos. Je me retourne brusquement, mais je n’ai pas le temps d’éviter le gigantesque seau d’eau que Michael m’envoie en pleine figure. Je me protège vainement avec mes bras et me ramasse 50 litres d’eau dans la tronche.

-Enculé ! Batard ! j'hurle, trempé. Je me jette sur lui, le plaquant à mi-cuisse en l’envoyant voler dans la chambre froide. Je n’ai pas le temps de préparer le seau de la vengence qu’il ressort un instant plus tard, armé d’un énorme thon de vingt kilos. Sidéré, je me prépare à esquiver le coup que j’imagine aisément destructeur. Le face à face d’observation dure une fraction de seconde. Puis Michael se lance, fendant l’air avec son thon. Je me baisse promptement. L’énorme poisson s’éclate avec un bruit sourd contre le mur, tout près de la porte, répandant des écailles poisseuses dans toute la pièce.

-Ahhhh !!!! hurle alors une voix stridente.

C’est Isa. Elle vient de faire irruption dans la cuisine. Tremblante de peur, elle considère, effarée, le gigantesque thon qui gît au sol, inanimé au milieu des balais et des seaux d’eau.

-Vous auriez pu me tuer ! Mais vous êtes dingues ou quoi ? lâche t-elle, la voix défaillante.

-Désolé, on se battait bêtement, et … On pensait pas du tout que tu arriverais comme ça, sans prévenir, dis-je, gêné.

Michael se cache tant bien que mal derrière moi, pour dissimuler un rire nerveux.

Isa s’avance, se serre contre moi et m'entoure de ses jolis bras … Insinuant tout de suite le doute dans mon esprit … Est-ce une réaction normale ? Elle a eu peur mais faut pas non plus exagérer. Et puis, ça se voit que je suis trempé, alors se plaquer contre moi alors qu’elle est bien sapée… Tout ça en une fraction de seconde. Je la serre à mon tour, et lui dit, troublé :

-C’est rien, Isa, ça ira … Ca va aller …

-…Oui, répond-elle, après un silence.

Michael est derrière moi. Il ne rit plus. C’est déjà ça. Isa s’écarte.

-Faudrait faire gaffe, les mecs. Ca suffit les conneries, d’accord ? demande-t'elle d'un ton las.

-Promis, dis-je, sérieusement.

Apparemment, Michael n’en croit pas un mot. Il esquisse un sourire qui en dit long sur ses intentions …


Le boulot est terminé. Tout est propre et bien récuré. L’inspection sanitaire peut passer. J’en profite pour jeter un coup d’œil à la maison. Une jolie maison assurément, au murs épais, assurant une grande inertie thermique à l’intérieur où il fait relativement frais, comparé à la chaleur étouffante du dehors. Un grand salon bien aménagé, une cheminée. Une autre cour ? Je m’avance tranquillement. Une superbe piscine est installée, là, dans ce grand jardin recouvert d’un joli gazon. Très sympa.

Je monte à l’étage. Un couloir, des chambres, dont celle de Bob et Isa, deux salles de bain. Rien de bien spécial. L’éclairage est très sombre, l’atmosphère fraîche et sèche. Une vague odeur de moisi flotte dans l’air. Pas désagréable du tout. J’adore cette odeur de vieille maison. Je redescends. Je devine la chaleur dehors. Un bon plongeon dans la piscine me fera du bien. Je file à la tente et passe un maillot. Il fait horriblement chaud. L’air est atrocement sec. Boire. Je remonte à la maison. Arrivé dans le salon avec vue sur la piscine, je m’arrête net. Isabelle est là, en bikini bleu turquoise, endormie sur un transat au bord de la piscine … Vision de rêve.

Ses jambes d’une longueur infinie, cette peau recouverte d’huile qui brille de milles feux en plein soleil. Sa respiration est lente. Sa poitrine se soulève à intervalles réguliers. Magnifique. Elle a une poitrine parfaitement dessinée. Elle tourne la tête. Plie une jambe. Je n’en peux plus. Quelle beauté. Je suis fasciné. Je m’approche sans un bruit, laisse courir mon regard sur sa poitrine magnifique, sur son ventre … Je tourne la tête, regarde la surface miroitante de la piscine, tentant vainement de me calmer. Je jette un nouveau regard à Isabelle. Elle est réveillée. Je tombe en admiration et me perds dans ses magnifiques yeux bleus couleur lagon…

"Hello me dit-elle, très sensuellement.

Mais pourquoi me parle-t'elle comme ça? me dis-je, désespéré.

-Hello Isa … dis-je totalement perdu et sans grande conviction…

-Ca ne va pas ? s’enquit-elle alors en s’asseyant.

J’essaye d’avoir l’air naturel, de ne pas regarder sa poitrine.

-Si, si … Ca va … J’ai juste très chaud. Un bon bain me fera du bien.

-T’as raison, il fait si chaud … dit-elle en se levant vers moi.

Elle s’approche lentement … et me pousse violemment dans l’eau. Stupéfait, je tombe à la renverse sans avoir rien pu faire. Je devine que l’eau est juste derrière moi. Je vois l’image d’Isabelle, hilare, s’éloigner de moi. Le ciel, d’un bleu infini, défile devant mes yeux. Puis je suis happé par le liquide bleu qui se referme sur moi. C’est froid. Douche écossaise au sens propre et au figuré. Dobeul. Brechen. Isabelle est au-dessus de moi, floue, imprécise. Je me laisse couler au fond de la piscine retenant le peu d’air qu’il me reste dans les poumons. J’essaye de localiser Isa. Autant profiter du jeu.

Je remonte brusquement après quelques secondes et attrape par le pied ma proie qui crie au secours. Je me hisse prestement hors de l’eau sans relâcher son pied, l’enserre, la soulève et fait mine de la jeter de toutes mes forces. Quel poids plume. Admirable. Elle hurle et se cramponne fermement à moi … Que j’aime ça ...

Elle me fixe, essoufflée. Il me semble qu’elle jette un œil à mes pectoraux saillants, puis regarde au plus profond de moi. Sa lèvre tremble. Mais que veut-elle, bon sang ? Désorienté, je la remets délicatement sur ses jambes.

-J’ai bien cru que tu allais me balancer à l’eau ! J’ai eu une de ces peurs. Mais dis-donc, t’es baraqué, comme mec … Avec Michael, on est servi niveau beaux gosses à la maison, poursuit-elle en souriant.

Allez, faut que j’y aille, conclut-elle, un peu hâtivement me semble-t'il."



A suivre ...


Ce texte a été lu 1217 fois.


« Pour la vie
par : Constance
Michael (Deuxième partie) »
par : Corentin



Rédiger un commentaire sur ce texte Votre avis sur ce texte … (1 commentaire)
Avatar de Constance

Constance

Le 09 décembre 2007 à 11:21

Pour cette première partie, j'aurai un "reproche" à te faire sur tes dialogues qui ne sont pas toujours d'une grande qualité. Sans doute pour rendre ta nouvelle plus vivante, tu les as multipliés mais ils sont parfois un peu longs car trop détaillés.
Je pense qu'en allégeant un peu, ce serait plus agréable à lire. J'attends que la deuxième partie soit publiée pour voir ce que donnera la suite de ton histoire.
Remonter au texte | #675


Rédiger un commentaire :

Votre pseudonyme :

Texte du commentaire :
:) :| :( :D :o ;) =/ :P :lol: :mad: :roll: :cool:
Nous vous rappelons que vous êtes responsable du contenu des commentaires que vous publiez.
Votre adresse de connexion (3.219.233.54) sera archivée.
Vous n'êtes pas membre de Jeux d'encre ....
Afin de valider la publication de votre commentaire, veuillez taper le code suivant anti-spam dans la zone de texte située ci-après : 
Important : Les textes déposés sur ce site sont les propriétés exclusives de leurs auteurs. Aucune reproduction, même partielle n'est autorisée sans l'accord préalable des personnes concernées.