test

  • ~ 1 lecteur en ligne

Odyssée (Première partie)

Publié le : 27 janvier 2008 à 20:33 par Corentin (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

Le calme avant la tempête.


Grand silence. Plus personne ne bouge. Seul le bruit de nos respirateurs perturbe ce silence pesant. Le responsable de mission s’est tû depuis déjà longtemps. Tous les voyants sont au vert. Nous n’attendons plus que la fin de la ‘séquence synchronisée’ durant laquelle tous les paramètres de mission sont informatiquement vérifiés et les réservoirs définitivement pressurisés. Le vaisseau Atlas est fièrement dressé vers le ciel azuré, monté sur son réservoir lui-même flanqué de ses quatre boosters. Plus personne ne parle au CSI, Centre Spatial International, situé en Guyane française. La NSI, ou Navette Spatiale Internationale, est sur le point de décoller. Des milliers de mètres cubes de carburants cryogénisés sont convoyés vers les réservoirs. Tout est réglé à la milliseconde près. Des vapeurs blanches de condensation s’élèvent au-dessus des canalisations cryogéniques. Les isolants thermiques des tuyaux et du vaisseau sont en train de se rétracter sous l’effet du froid. Tout est calculé. Des flammes de torchage sont visibles non loin du pas de tir. Le gigantesque réservoir d’eau, de 120 mètres de haut, est prêt à se déverser sur le pas de tir pour que celui-ci ne soit pas consumé. La jungle aux alentours semble retenir son souffle. Le gigantesque panneau d’affichage numérique égrène implacablement et silencieusement les secondes. Tout le monde, spectateur comme technicien, retient son souffle. Pas un nuage à l’horizon. Le vaisseau brille de son aveuglante blancheur, parcourue par de noires zones de blindage thermique ou de panneaux solaires aux reflets bleutés. Les réservoirs sont scellés. Certains isolants sur les réservoirs finissent de se mettre en place par à-coups bruyants. Les canalisations de remplissage ont fini leur office et, déjà, elles se réchauffent avec un bruit de claquage métallique inquiétant. Fin de la séquence synchronisée. Tout est paré.


10 secondes d'éternité.


10. Ca y est. La voix du ‘capcom’, responsable de mission, résonne dans mes tympans. Le décompte final est lancé. Je sens qu’il va durer une éternité.

9. Je repense, fébrile, à ces années de conception. Tout va bien se passer. Ce n’est pas le premier vol.

8. Solidement harnaché depuis deux heures dans ce cockpit étouffant, suant à grosses gouttes, j’imagine les forces en présence.

7. Vingt millions de pièces - dont 15 millions de pièces mobiles – sont assemblées avec une précision parfois nanométrique.

6. Et dans quelques instants, toutes, sans exception, devront faire leur office, impassibles, imperturbables.

5. La moindre défaillance serait fatale à l’assemblage de 92 mètres de haut pesant 8000 tonnes. Près de 250 poids lourds de 33 tonnes.

4. Dans un instant, la machine se mettra en branle, déclenchant le feu du ciel. Plus de 10 000 tonnes de poussée. L’équivalent de 125 Boeing 747.

3. Bientôt tout l’ouvrage sera pris de violentes convulsions et, soumis à une terrible accélération, les pièces vont ployer, résister, hurler.

2. Cet invraisemblable assemblage ultra-précis de millions d’éléments et de substances, surgi de la nature transformée par l’homme, s’élancera vers les cieux infinis avec une force proprement inimaginable.

1. La moindre défaillance pourrait être fatale. Des tremblements. Les premiers tests moteurs sont lancés.

0. Plus moyen de renoncer.


Le feu du ciel.


Instantanément, la poussée des moteurs devient maximale. Je suis écrasé sur mon siège. Tout tremble autour de moi. Je suis assis sur une bombe de 8 000 tonnes. Déjà, le cockpit traverse les nuages. La plus puissante machine du monde est en route vers les étoiles, et moi, l’un de ses concepteurs, suis du voyage. La pression des réservoirs, qui se vident à une vitesse effrénée, doit sans cesse s’ajuster avec de l’hélium pressurisé. Les isolants commencent déjà à se dilater. Les trente turbopompes sont en action et tournent à plus de 40 000 tour/min pour alimenter les moteurs en carburant et consomment l’équivalent électrique de 40 rames de TGV. A chaque seconde, plus de 50 mètres cube de carburants cryogéniques sont propulsés dans les chambres de combustion au-travers de 7500 injecteurs haute pression. L’hydrogène rencontre l’oxygène. Oxydation spontanée. Explosion. Les fluides passent ainsi brusquement de -250 à +3 500° C.

Les quinze tuyères équipant les trois moteurs Thor et les douze moteurs Vulcain vomissent alors en tremblant des gaz brûlants à plus de 40 000 km/h soit plus de 11 km/s. L’entrée en fusion des tuyères par la chaleur n’est empêchée que grâce au débit permanent à l’intérieur même de leur structure des 50 mètres cubes de liquides cryogénisés. Assurant les deux tiers de la poussée totale, les quatre gigantesques boosters de 75 mètres de long se ruent vers les cieux et forcent sauvagement sur leurs attaches métalliques, qui ploient en grinçant, côtoyant constamment le point de rupture.

L’orbiteur, juché sur l’énorme réservoir central de 80 mètres de long et de 18 mètres de diamètre, doit résister à sa propre accélération qui lui fait fendre une atmosphère devenue extrêmement visqueuse et résistante. Avec la vidange et les frottements dus à l’écoulement de l’air, les plaques d’isolants cryogéniques se réchauffent et se dilatent. En se déformant, certaines sautent instantanément, d’autres sont violemment arrachées par la terrible force du vent. C’est normalisé.

Je sais que de l’extérieur, notre vaisseau n’est déjà plus qu’un minuscule point précédé d’une incommensurable flamme de plasma orangé de plus d’un kilomètre de long, secouant l’atmosphère alentour et répandant une brutale onde sonore soufflant et grondant à des milliers de kilomètres à la ronde. Je ne vois plus rien au-travers du cockpit, tant le vaisseau comprime l’atmosphère contre son fuselage désormais plongé dans une épaisse et blanche condensation dont seuls les bouts des ailes ressortent. La pression aérodynamique est constamment poussée au maximum que le vaisseau peut encaisser. Les bords d’attaque des ailes delta et de l’empennage résistent durement sous la contrainte et ploient de manière parfaitement calculée. Je repense à toutes ces simulations et calculs d’efforts de pression sur les structures externes du vaisseau. Les valeurs retournées ne sont ici plus numériques ou graphiques mais clairement physiques. Les moteurs ajustent constamment la poussée.

Les centrales inertielles munies de leurs gyroscopes tournant à toute vitesse maintiennent le vaisseau dans un équilibre précaire et précis. 20 millions de pièces. Aucune ne doit flancher. Malgré les 10 000 tonnes de poussée. Toute déviation de la trajectoire entraînerait le démantèlement et la désintégration du vaisseau par contrainte aérodynamique. Le vaisseau doit en permanence se préserver de sa propre et colossale puissance destructrice. Les turbopompes sont à leur rendement maximal. Les tuyères vomissent plein débit.

La pression sur l’assemblage est à son paroxysme. Le vaisseau tremble de toutes ses tôles. Si un seul des micro-axes d’une pompe était mal fondu et mal équilibré, à cette vitesse, il serait instantanément excentré et éjecté en arrachant tout sur son passage, détruisant pompes et canalisations, libérant le carburant au contact du comburant engendrant l’explosion instantanée des 25 000 mètres cube d’explosif. La boule de feu dépasserait les 2 km de diamètre et serait visible à des milliers de kilomètres. C’est pourquoi des dizaines de milliers de capteurs scrutent intensément la santé instantanée du vaisseau et les supercalculateurs actualisent de manière continue les procédures de sauvetage à mettre en place en cas de défaillance.


Système de sécurité.


Nous sommes dix, en scaphandres hermétiques, oxygénés et totalement ignifugés, harnachés dans nos sièges, dans ce cockpit blindé et pressurisé. Nous sommes tous munis de parachutes et de balises de positionnement. Le cockpit fait d’aluminium et d’acier blindés est capable de résister à l’explosion au décollage du vaisseau. Il est recouvert d’un blindage thermique en Inconel-X-Nickel, plus cher que l’or massif, la même protection thermique que sur le ventre de l’orbiteur, capable de résister à plus de 10 000 degrés. Le tout est capable de s’éjecter à l’aide de fusées et peut ainsi s’éloigner du vaisseau blessé à toute vitesse et retombe freiné par des parachutes et des airbags. Mais il n’y a pas que l’abandon du vaisseau. Il existe différentes procédures de vol : séparation anticipée des boosters et réservoir, retour à la base, amerissage forcé. La sécurité maximale techniquement envisageable sur une telle machine. Le vaisseau spatial le plus sûr jamais conçu mais aussi, et de loin, le plus puissant.


Encore quelques minutes.


135 secondes se sont déjà écoulées depuis l’instant 0. Un éclair aveuglant, une violente secousse. EAC largués. Les quatre boosters, ou EAC pour Etages Accélérateurs Cryotechniques à moteurs Vulcain, viennent de se séparer du réservoir principal à l’aide de charges explosives. Ils sont en train de retomber, inertes, dans l’océan Atlantique, suivis par les radars. Freinés par des parachutes puis protégés de l’océan par des airbags étanches, ils seront récupérés puis réutilisés. Nous continuons sur notre lancée, assistés par les moteurs Thor lancés à plein régime à l’arrière de l’orbiteur. Le plus grand danger est passé. Les gigantesques pétards EAC sont éloignés. L’espace est à notre portée. Plus que quelques minutes. Attention séparation Réservoir. Brusquement le vaisseau se cabre. Nous sommes écrasés sur nos sièges. Le réservoir principal est largué. Il retombe, en tir balistique très allongé, dans l’océan Atlantique. A cette altitude, les couches denses de l’atmosphère sont un réel danger. C’est pourquoi le ventre du réservoir est recouvert de ce même blindage en Inconel-X-Nickel. Il sera ensuite freiné par des parachutes et protégé par les mêmes airbags que les boosters. Il amerrira non loin des côtes sénégalaises. Car oui, l’Atlantique vient déjà d’être traversé. Atlas n’a plus qu’à accélérer encore un peu avec ses propres réservoirs. Ca y est. Nous sommes satellisés. Atlas, gigantesque et majestueux vaisseau à ailes delta, long de 60 mètres et pesant 350 tonnes en pleine charge, s’est affranchi de la gravité et vole à 500 km au dessus de la Terre, à plus de 40 000 km/h. Avec, dans sa soute de 40 mètres de long et de 8 mètres de diamètre, deux grands modules aterrisseurs, et suffisamment de carburant pour rallier la base lunaire internationale. Mais nous n’irons pas. Ce n’est qu’un vol test.

Ce texte a été lu 837 fois.


« Voyageuse du soir
par : jc-blondel
Odyssée (suite et fin) »
par : Corentin



Rédiger un commentaire sur ce texte Votre avis sur ce texte … (pas de commentaire)
Aucun commentaire n'a encore été rédigé sur ce texte.

Rédiger un commentaire :

Votre pseudonyme :

Texte du commentaire :
:) :| :( :D :o ;) =/ :P :lol: :mad: :roll: :cool:
Nous vous rappelons que vous êtes responsable du contenu des commentaires que vous publiez.
Votre adresse de connexion (204.236.220.47) sera archivée.
Vous n'êtes pas membre de Jeux d'encre ....
Afin de valider la publication de votre commentaire, veuillez taper le code suivant anti-spam dans la zone de texte située ci-après : 
Important : Les textes déposés sur ce site sont les propriétés exclusives de leurs auteurs. Aucune reproduction, même partielle n'est autorisée sans l'accord préalable des personnes concernées.