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Les jumeaux

Publié le : 25 février 2008 à 21:06 par Pénélope (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

Ils jouaient dans le jardin, les jumeaux. Ils jouaient de ces jeux dont ils étaient les seuls à connaître le langage et la règle. C’était le début de l’automne. Les arbres étrennaient quelques rousseurs au milieu des feuillages dont les verts blanchis, décolorés, racontaient un été de trop de soleil, de manque d’eau. Le jardin se déplumait de ses dernières fleurs, grillées. La nature se préparait aux frimas.

Jean et Jeannette, les jumeaux, étaient aussi dissemblables que peuvent l’être deux enfants nés le même jour, d’une même mère, mais pas du même œuf.

Le garçon, tout de blondeur auréolé regardait d’une œil sombre sa jumelle, brune et à la prunelle d’un bleu acier. Il était rond, moelleux, elle était sèche, nerveuse. Mais la complicité qui les unissait n’avait rien à envier à celle qui soude les gosses monozygotes.

Ils se parlaient peu, avaient inventé des mots, leurs mots, afin de se rendre incompréhensibles. Ils échangeaient un coup d’œil, un hochement de tête ou un léger froncement de sourcil, et ils savaient. Ils savaient ce qu’ils allaient faire, ce qu’il fallait faire. Ils agissaient de concert, comme un même corps, comme une même âme. La grand-mère, soulevant discrètement le rideau de la cuisine, observait perplexe, ces deux petits êtres, orphelins (sans doute), et dont la charge lui pesait.


Les parents avaient disparu alors que la paire était âgée de sept ans. Ils s’étaient volatilisés sans que jamais nul n’ait plus de leurs nouvelles. Il n’y avait pas eu d’accident, pas de mort subite, rien qui puisse expliquer ce départ. Un matin, juste comme ça, ils n’étaient plus là, et les enfants étaient seuls dans la grande maison lugubre. Ils s’étaient alors organisés une petite vie tranquille, grignotant les réserves qu’ils avaient dégotées. Ils s’amusaient du soir au matin, gambadaient, exploraient toutes les pièces de la bâtisse, dont, jusque là, l’accès leur était interdit. Ils cueillaient les fleurs, se construisaient d’ahurissantes cabanes avec le linge de la maison. Ils ne respectaient aucun horaire, n’allaient plus en classe, ne se lavaient plus. Ils jouissaient alors d’une totale liberté, qui, bien que brève, leur donnait un goût certain pour cette solitude partagée.


Au bout d’une dizaine de jours, l’entourage social se préoccupa enfin de la grande maison perchée sur la colline, et de ses habitants. L’école téléphonait et ne parvenait pas à joindre l'un des parents. Le facteur passait déposer le courrier et n’apercevait jamais âme qui vive, les lettres s’entassaient dans leur boîte. Elle débordait de prospectus et de journaux. L’épicier, le boucher, le boulanger s’étonnaient de ne plus voir la mère, parcourant tranquillement les rues, chaque matin, en quête du repas du jour. La grosse bagnole rouge du père ne traversait plus le bourg au petit jour et à la tombée de la nuit.

A force, le Maire se décida à gravir le long chemin pentu qui menait à la maison, assisté de la gendarmerie et des pompiers. Quand il arriva, le portail baillait, laissant entrevoir une allée propre bien qu’elle commençait à se ponctuer, ça et là, d’herbes folles et mauvaises. Il appela à voix forte et n’eut aucune réponse. La troupe se mit en devoir de fouiller méticuleusement l’endroit.

Lorsque le capitaine des pompiers trouva le petit Jean et la Jeannette, ils étaient dans le grenier, en train de fouiner dans une vieille malle remplie de papiers, enveloppés d’une odeur de poussière. Et quand il demanda où se trouvaient les parents, les enfants, levant deux regards angéliques vers le bonhomme déclarèrent qu’ils n’en savaient rien. Ce fut les seules paroles qu’ils acceptèrent de prononcer.


Les mois avaient passés, la grand-mère avait accepté de s’installer avec les enfants afin de prendre le relais. Le trio n’échangeait pas plus de dix mots dans une journée, à peine se souhaitait-il le bonjour et la bonne nuit. Les petits avaient repris leur vie routinière à contre-cœur : l’école, les repas, les devoirs. La nuit, ils refusaient de dormir seuls, campant selon l’humeur, chez l’une ou chez l’autre. Déjà très proches avant la disparition, ils étaient devenus inséparables.


Et la grand-mère ne comprenait rien aux deux gosses. Souvent, même, ils l’inquiétaient, voire lui inspiraient une espèce de crainte diffuse, dont la raison lui échappait. Elle n’en venait que rarement à bout, ils regimbaient sur tout. Ils vivaient un amour fraternel dont elle était exclue. Jamais de sourire, jamais un baiser, jamais un mot pour raconter leurs souvenirs, leurs désirs, leurs bonheurs. Ils ne pleuraient pas. Ils ne demandaient pas. Ils étaient, à eux deux, une sorte de nouvelle espèce de l’humanité. Parfois, ils se réfugiaient au grenier, perché là-haut, où ses pauvres jambes de vieille ne pouvaient plus la traîner. Elle tendait l’oreille, au pied de l’escalier, et les entendait glousser, pousser de curieux petits cris. Les rires diffus lui parvenaient dans le froid silence de la maison. Avec le temps, elle se surpris à ressentir un peu d’hostilité pour les jumeaux.


Le temps filait …


L’année qui suivit la disparition fut celle de la grande tempête. Le vent souffla si fort cette année là qu’il remua des monceaux de terre, qu’il abattit des arbres, qu’il souleva les ardoises du toit. Et puis la pluie, diluvienne, s’en vint à combler les trous, créer d’éphémères mares, raviner les talus. Le jardin, d’habitude soigné, propret, ressemblait à un champ de bataille. Les jumeaux étaient ravis, ils fouillaient du bout d’un bâton les entrailles de la terre. Ils pataugeaient dans les flaques. Ils abritaient leurs fraternelles amours sous les branchages des arbres couchés.


Un matin, alors que la grand-mère était moins fatiguée que d’usage, elle eut, alors que le soleil printanier chauffait les bourgeons naissants, envie de prendre l’air et de visiter ce jardin bouleversé. Elle enfila ses bottes de caoutchouc. C’était sa première sortie après l’hiver. D’un pas lent, le corps accablé d’années, elle entreprit de mettre la main sur les gamins. Elle soufflait à chaque pas, elle traînait la jambe. Progresser au milieu des souches et des troncs relevait de l’acrobatie pour elle. Et elle appela d’une voix aiguë les jumeaux. Pas une réponse ne lui parvint, juste le chuchotement de l’air dans les branchages et de petits gloussements …

Soudain, au détour d’un talus, elle vit les deux gamins dressés devant elle, collés l’un à l’autre, qui la regardaient, une lueur cruelle, insondable, accrochée à leurs yeux d’anges. Elle n’eut pas le courage d’aller plus loin, tressaillit, et, doucement, s’en retourna vers la maison.

Mais, dans sa lente virevolte, elle eut le temps d’apercevoir un fugace rayon métallique, rouge, du même rouge que celui de la grosse berline disparue. C’est ce jour là qu’elle sentit monter en elle une aversion haineuse pour ses petits-enfants. Elle commença à les voir comme deux monstres, puis deux ennemis. Et elle se mit à les épier.


Les jumeaux adoraient la confiture. Toutes les confitures. Chaque fois qu’un pot était vide, ils allaient dans l’armoire où la vieille stockait ses réserves, montraient d’un petit doigt pointé le prochain pot à ouvrir. La grand-mère adorait cuisiner des confitures, à partir de tout ce que la nature pouvait offrir, les fruits, les légumes, les fleurs, et tout ce que le jardin recelait de possibles. A la fin du printemps, elle reprit ses ballades pour cueillir les ingrédients de ses recettes.


Tout en surveillant la cuisson, la grand-mère, soulevant discrètement le rideau de la cuisine, observait perplexe, ces deux petits êtres, orphelins (sûrement), et dont la charge lui pesait.


Sur l’étagère à confitures, une amanite phalloïde parfume sa dernière création : la confiture de fraise des bois à la vanille bourbon.

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Avatar de Valentin

Valentin

Le 28 février 2008 à 23:09

Inquiétante histoire que tu nous racontes là, machiavélique à souhait.
Le sujet est original,tu as l'exploiter avec beaucoup de brio.
Remonter au texte | #827

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Agnès Chêne

Le 02 mars 2008 à 20:48

Histoire qui donne des frissons,très bien écrite:impression de huis clos aussi
Remonter au texte | #831

Avatar de Elena

Elena

Le 04 mars 2008 à 22:38

Des anges diaboliques...il fallait y penser.Ton récit est vraiment écrit et la fin est à la mesure de ton histoire,épatante!
Remonter au texte | #832

Avatar de Pénélope

Pénélope

Le 04 mars 2008 à 22:44

et bien, je vous remercie tous d'aimer mes textes. Je participe au festival de la création sur Internet de Romans, alors, si vous voulez m'apporter votre voix, il faut passer par mon site web. D'avance merci. Bises Penny
Remonter au texte | #835

Lecteur de passage (chris)

Le 31 mars 2008 à 22:05

après toutes les niaiseries que je viens de lire;ta nouvelle remonte enfin le niveau
sacrément bien fichue ton histoire
Remonter au texte | #877


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