test

  • ~ 1 lecteur en ligne

Dans les cendres de l'Amour (Chap. I - Part. 9)

Publié le : 28 juin 2008 à 21:32 par ReneMax (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

Sans plus d’explications, je raccompagne Isabelle jusqu’à sa porte. Elle me remercie encore d’avoir été là et de lui avoir fait vivre cette soirée particulière.

Je la quitte en prononçant un : « bonsoir à bientôt, tu m’appelles quand tu veux. »

Sans plus, je ne pense même pas à laisser de bise sur ses joues.

Je fais le chemin du retour jusque chez moi, la tête dans les étoiles, le cœur gonflé de toutes les tensions et de toutes les émotions contenues de ces dernières heures.

Heureux de la confiance et donc du privilège qu’Isabelle m’accorde.

La tête heureuse de ce que je venais de vivre mais tout de même préoccupée.


Si Isabelle avait obtenu de moi mon amitié, qu’avais-je assuré de mon côté ? Certainement pas la facilité de lui ouvrir mon cœur.

Je n’avais qu’une seule interrogation en tête : ai-je fait le bon choix en répondant oui à sa demande ?

N’aurait-il pas été plus prudent de prendre le temps de la réflexion ? Peut-il y avoir compatibilité entre amitié et amour ? N’est-ce pas le sacrifice de l’un pour l’autre ?

Ne dois-je pas profiter de cette relation de confiance pour justement lui expliquer en prenant garde de ne pas l’effrayer, que j’éprouve à son égard beaucoup plus que de l’amitié ?

Le sommeil me surprend alors qu’étendu sur mon lit, je cherche encore à trouver la réponse à cette question.


La nuit ne m’a pas vraiment apporté de réponse, au contraire, je me réveille avec d’autres interrogations. Mes quelques heures passées à dormir ont été agitées par un rêve indéfinissable.

Je voyais quelqu’un attendre dangereusement sur la voie de chemin de fer qu’un train arrive, et de cet endroit on apercevait la maison d’Isabelle. Plus tard je me suis vu une gerbe mortuaire à la main. Je ne comprends pas ce que cela signifie. Je n’ai jamais prêté attention aux explications des rêves. J’oublie bien vite ces images qui n’ont pas leur place dans mon état d’esprit.


La fin de la semaine s’est écoulée dans l’impatience de revoir Isabelle avant qu’elle ne parte en vacances. J’ai rongé mon frein pour ne pas lui imposer ma présence en attendant samedi. Pour m’aider à tenir après ma journée à l’usine, je retrouve Christophe à la piscine. Il est plutôt satisfait de sa situation de convalescent, mais il lui tarde tout de même de retrouver le travail et Christelle.

Je lui ai raconté ma longue soirée avec Isabelle. Il a du mal à croire et à comprendre que je n’ai rien tenté pour l’embrasser, rien tenté pour l’enlacer ou pour lui dire ce que j’éprouvais.

Il m’a laissé entendre qu’elle avait peut être provoqué ce rendez-vous dans l’espoir que j’ai un peu d’audace, « toutes les filles sont pareilles » m’a t-il dit.

Bien sûr j’ai défendu « l’honneur » d’Isabelle en lui expliquant qu’elle n’avait rien de toutes les filles justement. Quand je lui ai demandé pourquoi à ma place il aurait agi ainsi, la seule réponse qu’il ait pu me donner est :

« C’est comme ça que les garçons et les filles montrent qu’ils s’aiment !

- Qu’ils s’aiment ou qu’ils veulent passer aux travaux plus pratiques ? Dis-moi comment toi, tu conçois l’Amour.

- Moi je ne conçois rien du tout. Tu verras il n’y a rien de mieux que d’avoir une fille dans ses bras, c’est tout ce qui compte.

- Alors je ne dois pas être comme tout le monde.

Je préfère arroser la jeune pousse, regarder la fleur éclore du bourgeon, voir ses pétales s’ouvrir et embellir le paysage toute sa vie au lieu de la couper et la regarder mourir dans mon vase. »


Aujourd’hui ce samedi est un jour particulier. J’arrive en vue de la maison Souvignet où doit être fêté l’anniversaire d’Isabelle. Je suis là pour répondre à l’invitation lancée par sa sœur. Comme à aucun moment Isabelle ne m’a fait part de cette journée, je me suis convaincu qu’elle ignorait que quelque chose était préparé. Je suis là aussi car, un peu poussé par Christophe, j’ai fini par décider de confier à Isabelle mon tourment.

Je vais lui expliquer que je me suis laissé porter par mes sentiments. Lui expliquer qu’elle n’est en rien coupable de quoi que ce soit, mais que j’ai de plus en plus de mal à contrôler ce que ces absences et sa présence enflamment dans mon cœur.

Lui dire que si mes sentiments n’ont pas d’écho, ils n’ont pas lieu d’exister plus longtemps, et que si tel est vraiment son désir, je les étoufferai pour ne lui donner qu’une Amitié sincère et honnête.

La convaincre que ce choix impossible je me sens capable de le réaliser, mais qu’avant de faire ce sacrifice je voulais qu’elle sache. Non pas pour que l’on me plaigne, ou pour obtenir sa compassion et encore moins pour gagner quelque chose, mais pour qu’elle comprenne que si cet effort ne m’était plus supportable, il pourrait subitement me pousser à ne plus jamais vouloir la rencontrer.

Je me suis également dit sans trop y croire, que le côté positif de cette décision serait qu’Isabelle donne un écho favorable à mes sentiments.

Ne m’a t-elle pas confirmé qu’elle m’appréciait ? N’attend-elle pas comme l’a dit Christophe autre chose de moi ?

Je suis vraiment décidé, prêt et motivé pour mettre un terme à cette ambiguïté, et son départ lui laissera le temps de réfléchir à ce qu’elle me répondra.


N’ayant pas pensé à poser de questions lorsque Danielle m’a proposé d’être là aujourd’hui, je ne sais pas si ma présence doit être une surprise ou non. J’essaye donc d’arriver le plus discrètement possible.

C’est pour cela que je coupe le moteur de mon engin avant d’arriver dans la cour de leur maison, et que je chemine sous le balcon pour être dissimulé des fenêtres de la salle et de la cuisine. C’est là que je dépose ma mobylette et que je reste un peu car je ne suis pas rassuré. J’ai vraiment le trac avant d'exécuter ma décision.

Je prends le temps de me calmer en vérifiant que personne ne me voit.


Après une minute où tout continue de se bousculer dans ma tête, je décide de poursuivre mon chemin pour, longeant la maison, passer par le sous-sol. Et là stupeur ! En arrivant devant la porte je suis surpris de constater la présence de la mobylette d’Olivier. J’ai un serrement au cœur que j’ai du mal à contrôler. Mais bon sang, qu’est ce que cela veut dire !

Je suis avec lui toute la journée au travail et il ne m’a pas parlé de son passage chez Isabelle, alors que moi je lui avais confié l’invitation faite par Danielle. Il y a là vraiment de quoi perdre son calme !

Je comprends de suite que cela signifie pour moi, l’impossibilité de parler comme je le voulais à Isabelle. J’en suis un peu essoufflé et je dois faire un effort pour que des larmes ne franchissent pas la frontière de mes yeux. Je me retiens de ne pas donner un coup de pied dans sa mob, je sais que cela ne changerait pas grand chose. Sans chercher plus à comprendre, je fais demi-tour, décidé à rentrer chez moi.

Je ne suis pas vraiment énervé, c’est très rare que je le sois, mais je suis un peu fâché voire même vexé aussi dans mon amour propre.

Je m’étais sûrement et inconsciemment imaginé être le seul invité, être celui qui est le « plus digne » de participer à cette réunion familiale. C’est certainement cela qui me fait réagir ainsi, mais qu’Olivier ne m’ait rien dit sur l’invitation qu’il à dû recevoir augmente ce sentiment de vexation.


De nouveau sous le balcon, je m’assois sur ma mobylette pour prendre le temps de la réflexion. J’ai dit à Danielle que je serais là aujourd’hui et ça me déplait de la décevoir. Ce qui sera le cas si je pars.

Pourtant je ne me sens ni le courage, ni l’envie de me forcer de les rejoindre. Je préfère partir maintenant.

« Hé ! Salut max, tu rêves ou tu te caches la dessous ? »

La voix qui m’interpelle est celle de Christelle. Je me retourne pour la voir arriver. Elle finit de traverser la rue pour entrer dans la cour.

« Alors ! Que fais-tu là sous le balcon ? me demande t-elle. Tu montes avec moi ?

- J’étais en train de me dire que je suis venu les mains vides et que cela ne se fait pas trop lorsque que l’on est invité.

- Parce que tu crois que l’on nous invite pour arriver avec un paquet à la main ? Mais non, ce n’est pas comme cela ici. Allez viens, nous allons arriver en retard. Moi je rentre de courses avec maman. Mais toi, tu n’allais quand même pas repartir parce que tu es venu les mains vides ?

- Si je crois. J’hésitais à prendre ma décision quand tu es arrivée.

- Allez monte avec moi. »

Christelle me prend le bras, me pousse à la suivre. C’est une chic fille, je n’ai jamais trop pris le temps de détailler qui elle était, mais je comprends qu’elle devine pas mal de chose. Elle est discrète et toujours de bonne humeur.

Au fond je suis heureux de son arrivée. Je m’en serais voulu d’être reparti sans avoir vu Isabelle et d’avoir fait défaut à Danielle.

Dans le sous-sol nous montons l’escalier, Christelle devant, je lui laisse ouvrir la porte du couloir. Je ne sais pas qui je vais trouver et j’ignore si Danielle attend que je fasse ou dise quelque chose.

Ca rigole fort dans la cuisine, je reste sur le pas de la porte. Puis j’entends Christelle qui me dit « Viens, entre. »

Je respire un bon coup, rectifie mon attitude et franchis le seuil de la cuisine. Avant même d’avoir dit bonjour je constate que seule la famille d’Isabelle est présente. Ses sœurs, son frère Mikaël, madame Souvignet, et Isabelle assis autour de la table discutent et rigolent. Je ne vois pas Olivier.


Je fais une espèce de révérence à la mousquetaire et lance un « bonjour tout le monde, bonjour madame. »

Isabelle est surprise, le sourcil droit relevé je vois bien qu’elle ne feint pas, mais je vois surtout qu’elle sourit.

« Tiens je ne pensais pas que tu serais là, bonjour. »

Danielle ne me laisse pas le temps de répondre : « J’ai proposé à Max d’être présent quand tu souffleras les bougies. Nous sommes tous là, nous allons pouvoir passer au goûter. »

Madame Souvignet qui m’invite à m’asseoir se lève pour aller chercher le gâteau. Danielle se déplace sur le banc pour que je puisse m’installer à côté d’elle, de fait je me retrouve face à Isabelle toute souriante à qui je demande :

« Olivier n’est pas ici, j’ai vu sa mobylette dans la cour ? »

En posant cette question je sens en moi « s’évaporer » la tension qui tout à l’heure me poussait à partir.

Madame Souvignet revient portant le gâteau dont les bougies sont déjà allumées. Le joyeux anniversaire entonné par l’assemblée reporte à plus tard la réponse à ma question.

Isabelle se lève souffle ses bougies sous la clameur des bravos.

Sur mon visage je sens son souffle, et quand la dernière flamme s’éteint, c’est un discret « merci d’être venu » qu’elle m’adresse. Christelle assise à côté d’elle m’observe, le sourire dans les yeux.

Gâteau, boissons fraîches et rigolades accompagnent ce moment de partage. Tout le monde est de bonne humeur, et chacun a une anecdote rigolote pour l’entretenir.

Entre deux bouchées Isabelle se penche vers moi pour me préciser : « Parfois Olivier laisse sa mobylette ici quand il prend le bus. Je crois qu’il est à Dijon aujourd’hui. »

L’après midi déroule très vite ses heures, le temps d’une balle aux prisonniers à trois contre trois jusqu’à ce que la maman d’Isabelle rappelle à ses enfants qu’il est temps de penser à préparer les bagages. Le départ pour les vacances a lieu demain. Ma proposition empressée mais discrète de les aider est acceptée. Ce prétexte me permet de pouvoir rester ici encore un peu avec eux, de rester encore un peu près d’Isabelle, et puis c’est le retour d’Olivier qui vient récupérer sa mobylette.

Après quelques instants à discuter avec tous, il remercie les parents d’Isabelle avant de quitter la maison.

« Attends-moi Olivier je pars avec toi. »

Je décide de profiter de l’intermède créé par son arrivée pour quitter les lieux. Je sais que je vais avoir un peu le bourdon, et si je ne profite pas de cette occasion je risque d’être encore là jusqu’à trois heures du matin.

Isabelle n’est pas là quand je la cherche, je la retrouve dans sa chambre préparant ses affaires.

« Bon, je m’en vais Isabelle. Je vous laisse terminer votre préparation, passe de bonnes vacances là-bas. Au retour tu m’appelles si tu veux.

Tu sais ! si tu as le beau temps, quand tu regarderas les étoiles pense à moi … Je te ferai peut-être signe.

- Max attend, l’autre soir ta question pour la place dans le bus, j’ai la réponse.

- Ah oui ! Tu t’es souvenue ?

- Oui. En fait quand Olivier t’a appelé pour te présenter Maryse, tu m’as souri mais tu n’as pas cherché comme les autres à m’approcher. C’est pour cela et ton sourire je crois, que je me suis assise à côté de toi je voulais savoir qui tu étais, voilà. »

Ces mots résonnent encore dans ma tête alors qu’avec Olivier nous quittons Vosne Romannée sur nos mobylettes.


Ce soir dans le pré de la maison, profitant comme d’habitude de ces soirées chaudes à l’entrée de ma tente près du feu dont les ombres dansent sur les murs voisins, je suis étendu les yeux rivés aux étoiles..

Je sais qu’une période vient de prendre fin, je sais qu’au fond de moi pointe l’angoisse de la séparation, l’angoisse que les conditions ne soient plus aussi favorables lorsqu'Isabelle sera de retour.

Je me laisse envahir par le sommeil, seul remède qui permet aux tourments de la vie de trouver un temps de répit.

Je me rends compte aussi que ce tunnel au fond duquel j’ai vu poindre à nouveau la lueur de l’Amour, je l’ai franchi malgré moi, aspiré par les évènements de ma petite vie.

Cette lueur reste toujours aussi forte, mais toujours distante aussi.

Autour de moi les parois sont noires et le tourbillon qui m'emporte, me porte,m'entraîne, me secoue, me jette dans la tempête de la vie.


Huit ans plus tard ...


Quelle heure est-il ? Je me suis endormi sans m’en rendre compte. Mince, déjà !

J’ai moins d’une heure pour être sur place. Je me suis assoupi alors que j’ai un impératif. Aujourd’hui c’est le mariage, et je dois absolument être présent. Je me dépêche de quitter l’appartement, passe mon blouson et attrape mon casque en fermant la porte de l’appartement. Je ne tarde pas à enfourcher ma 750 CBC, et dans un démarrage rageur je pars pour l’église de Gilly où personne ne m’attend ce samedi de mai 1984.

J’arrive volontairement en avance sur le parking de l’église et je me place sur le trajet que suivra la mariée pour entrer dans l’église. Isabelle ne pourra pas ignorer ma présence et je pourrais la voir dans sa robe de mariée.

De sa sortie de voiture à l’entrée de l’église, sera le seul instant de la cérémonie auquel j’aurai le droit d’assister, et personne ne m’en empêchera.

En attendant son arrivée, assis sur ma moto, le casque sur le guidon, une allure à la James Dean, rebelle à cette événement, je ne peux empêcher la bousculade de mes pensées de dérouler le film des années écoulées.

Huit ans ont passés depuis cette nuit sous les étoiles avec Isabelle. Je me souviens comme si c’était hier de la fin de cet été.

Olivier n’a pas continué de travailler en août à l’usine, c’est d’ailleurs moi qui ai repris sa place. Christophe et Christelle se sont retrouvés très souvent, presque à chaque fois en ma compagnie. La maman de Christelle a même laissé entendre qu’elle aurait préféré que ce soit moi le prétendant de sa fille.

Mes parents sont rentrés de vacances, j’ai été un peu plus présent à la maison. Isabelle aussi à fini par revenir. Je me souviens que j’étais impatient de la revoir, mais toujours en retrait de mes sentiments, sur ma réserve.

Le temps doucement est passé, comme les jours ont raccourci. En fait les occupations de chacun nous ont vite amenés à la rentrée des classes.

Nous avons encore partagé de bons moments ensemble à quatre ou à deux, et toujours copain copain. Mais autre chose s’était installé entre Isabelle et moi. Pas une distance, mais comme une présence supplémentaire.

La scolarité a redonné du rythme à nos journées. Contrairement à l’année précédente je n’ai pas hésité à me rapprocher d’Isabelle quand l’occasion m’en était donnée, notre amitié est restée la même. Je dirais qu’elle a même pris un caractère plus complice et pourtant …


1977, je suis de passage chez Isabelle, madame Souvignet travaille dans la cuisine, et nous dans sa chambre nous discutons. Alors que la radio diffuse de la musique, Isabelle me dit à un moment précis :

« Max écoute cette chanson, je te la dédie.»

Je prête attention aux paroles alors que la chanson arrive à sa fin. Ce que j’en retiens sont ces quelques mots :

« Tu sais je te comprends très bien, un ami t'en fais pas c'est toujours fait pour ça. Ça joue les seconds rôles ta tête sur mon épaule. Un ami c'est facile ça tient au bout du fil et tu débarques en pleine nuit. »

Isabelle à qui je demande qui est le chanteur me répond : « Gérard Lenormand ».

Sur le moment je ne comprends pas trop ce que me dit Isabelle et ne saisis pas le contenu des paroles que diffuse la radio. Aussi à la maison, après l’école et avant de m’endormir, je surveille pendant quelques jours les émissions pour avoir la possibilité d’enregistrer sur ma radiocassette cette chanson.

Cette dédicace est un tournant dans mes choix musicaux, et la découverte de ce chanteur me conduit à deux situations nouvelles.


La première touche les chansons. Alors que jusqu’à maintenant la musique correspondait plus à un bruit de fond dans mon univers qu’à autre chose, afin de savoir pourquoi Isabelle m’a dédié celle-ci, je commence à écouter les paroles que les chanteurs mettent en musique.

En découvrant celles de Gérard Lenormand, c’est comme si j’avais ouvert la porte à un oiseau en cage. Tout ce que j’avais dans le cœur, toutes ces interrogations, tous ces bonheurs, toutes ces humeurs qui quelque part nichaient au fond de moi, ont pris leur envol dans l’air des ces paroles qui résonnent au diapason de mon vécu.

La deuxième est de comprendre la raison de cette dédicace. Je sais qu’elle m’a dit cela pour me remercier d’être ce que je suis, mais je m’interroge pour savoir si je dois être plus ou moins présent, plus ou moins à l’écoute, plus discret ou plus entreprenant, sans trouver la réponse.

Je vois bien que depuis l’année dernière je n’ai pas trop avancé, j’en suis presque au même point. Je suis amoureux en toute discrétion.

Oui bien sûr, je suis devenu un proche d’Isabelle, un proche de sa famille. Je peux même dire que j’ai l’impression d’avoir une deuxième famille. Mais si moi j’ai réussi à me rapprocher, Isabelle elle, est restée là même. Ce n’est jamais elle qui fait appel à moi, et c’est à mon initiative que parfois une excuse est inventée pour l’avoir au téléphone lorsque la journée nous ne nous sommes pas vus très longtemps.

Alors forcément je cherche à comprendre le pourquoi de cette dédicace.

Christelle que je vois assez souvent lorsque Christophe la rejoint, m’a dit un jour :

« Max tu souffres, et tu souffres pour rien. »

Je lui ai affiché un franc sourire en lançant: « Mais non ! Où as-tu vu cela ? Je suis heureux d’être avec vous. »


En fait, elle voyait très bien ce que moi je cherchais délibérément à me cacher, ce que je ne voulais pas m’avouer.

M’avouer qu’il y à presque un an j’ai laissé prendre un feu que volontairement, je n’ai pas maîtrisé. Je n’ai rien fait pour l’activer mais je l’ai laissé brûler, et dans la chaleur de ses flammes, m’emporter si haut que j’en ai perdu le contrôle de la réalité.

La réalité dont la sagesse était de se limiter à ce qu’elle m’offrait : être un copain et ne rien attendre de plus.

Enivré par les sentiments que mon cœur m’offrait de vivre, je ne pouvais que déraisonner, et aujourd’hui dans la lumière des paroles de ce chanteur, j’ouvre les yeux sur le gouffre qui me sépare de cette réalité. Brutalement mon ascension s’arrête.

Si mon ascension vient brutalement de cesser, ce n’est pas pour autant la chute libre, pas encore …

Je suis comme en état d’apesanteur, les bras écartés, la tête et le cœur entre deux niveaux. Mes yeux balayent du haut vers le bas ce qui m’entoure. Sous mes pieds, l’immensité d’un vide dans lequel je ne veux pas m’écraser, et au-dessus de moi la beauté de mes sentiments.

Je suis obligé de me casser la nuque la tête en arrière pour conserver cette brillance dans mon champ de vision.

Ces chansons qui bercent mes interrogations ont dans leur texte le contenu de mes sentiments du moment. Il me faut alors peu de temps pour avoir ce qui me semble être une idée géniale : acheter l’album de Gérard Lenormand pour l’offrir à Isabelle.

Un aller en stop à Dijon permet de me rendre à la librairie de l’université. Là, au rayon disques, nous avons la possibilité d’écouter dans les cabines, un certain nombre d’enregistrements pour choisir celui que l’on va acheter. C’est avec Olivier que j’ai découvert cet endroit.

Les chansons de Gérard Lenormand qui me touchent plus particulièrement, sont comprises dans plus d’un album. J’en écoute quelques-uns et me décide enfin pour effectuer l’achat du double album dont le nom est Nostalgie. Le coût dépasse ce que j’avais initialement prévu mais en contre partie, me voilà l’heureux possesseur de ce double 33 tours qui va devenir pour moi le messager de mes sentiments. Si Isabelle m’a dédié une chanson, je vais moi pouvoir lui dédier l’album entier. Elle saura ainsi ce que je ressens, connaîtra si elle entend, ce qui résonne au fond de mon coeur ….


Dans le bus qui me ramène de Dijon jusqu’à Vosne, j’ai le temps de relire toutes les paroles des chansons. Elles sont inscrites sur la pochette bleue cartonnée qui contient les deux disques. Lorsque j’arrive, c’est madame Souvignet qui me reçoit.

« Tiens tu es donc là toi ! me dit-elle. »

J’arrive à l’imprévu, c’est vrai. Il faut dire que ce n’est pas mon genre ni dans mes habitudes, mais ce que je veux faire à pris tellement d’importance dans ma tête, me paraît tellement être une bonne idée, que je ne veux pas attendre.

« Isabelle, viens voir, Max est là ! lance madame Souvignet »

La porte de sa chambre s’ouvre, Isabelle apparaît le sourire aux lèvres.

« Tiens bonjour, tu es de passage ?

- De passage oui, mais volontairement car j’ai quelque chose pour toi.

- Ha bon, de quoi s’agit-il ? Attends, viens avec moi. »

Nous prenons tous les deux la direction de sa chambre. Madame Souvignet reste à ses travaux.

Isabelle s’assoit sur son lit et me fait face, je reste debout.

« C’est quoi cette histoire ? me demande t-elle, le sourcil relevé.

- Tu sais, depuis que tu m’as dédié cette chanson de Gérard Lenormand, j’ai appris à l’écouter et à l’aimer. Dans ses paroles il exprime tellement de beaux sentiments qu’à mon tour j’ai voulu te dédier quelque chose. »

J’ouvre mon sac plastique duquel j’extrais le double album enveloppé dans du papier cadeau. Je le tends à Isabelle à qui doucement je dis :

« C’est pour toi, je veux t’en faire cadeau et te dédier tout ce qu’il contient. »

En me remerciant Isabelle se saisit du paquet, hésite un peu puis ouvre le papier d’emballage duquel elle extrait le double album. Inquiet, j’observe les traits de son visage. Je ne vois rien et pire encore Isabelle reste silencieuse. Je ne sais comment interpréter cela.

Quand enfin des mots sortent de sa bouche, elle me dit :

« Max tu es fou, un double album…Il a dû te coûter très cher. »


Elle lit le texte des chansons écrites sur la pochette du disque, reste de nouveau silencieuse pendant ce temps. Je suis encore debout à l’observer. Je me dis qu’elle va commencer à comprendre ce tourment qui brûle en moi, qu’en écoutant au calme ces chansons elle…..

Soudainement, Isabelle se relève me regarde et me dit.

« Non c’est trop Max, je ne peux pas.

- Tu ne peux pas quoi ?

- Je ne peux pas accepter, cela n’est pas pour moi.

-Mais si justement Isabelle, c’est pour toi. C’est pour te remercier de m’avoir fait connaître Gérard Lenormand et aussi pour le plaisir de te faire ce cadeau.

- Non Max, il ne faut pas. »

En disant cela Isabelle me tend les disques. Je ne comprends pas ce qui ce passe, j’ai l’impression d’avoir un gong qui résonne dans la tête, j’ai du mal à clarifier mes pensées.

« Tiens reprends les, je suis désolée je ne peux pas garder ça pour moi. »

La main que je tends pour prendre les disques tremble un peu, et j’ai du mal, mais je réussis à empêcher des larmes de passer la frontière de mes yeux. Mes yeux qui se portent sur la photo qui orne l’album.

Elle montre le chanteur marchant les mains dans les poches, dans un champ avec pour arrière plan un ciel nuageux.

Les nuages sont aussi en train de remplir mon cœur. Je vois Isabelle qui me regarde l’air sincèrement désolé. Pourtant à cet instant je lui en veux. C’est la première fois depuis que je la connais.

Je lui en veux de ne pas comprendre l’importance qu’avait pour moi ce don que j’ai voulu lui faire. Je lui en veux de briser l’espoir que j’avais mis dans cette phase de compréhension que devaient lui donner les chansons qu’elle allait pouvoir écouter. Je ne suis même pas vexé, juste triste de ce qui arrive. Maintenant je sens dans mon cœur comme une lame chaude qui s’y serait logée. Ce feu qui a toujours brûlé en son sein est battu par les vents d’une tempête inconnue. La douleur de sa brûlure se répand jusqu’aux limites de sa périphérie.

J’ai rangé l’album dans son sac. Sans rien dire, je sors de la chambre d’Isabelle et quitte discrètement la maison Souvignet. Arrivé dehors, mes disques sous le bras, je pars en courant jusqu’à la route nationale.


Je suis retourné par ce qui vient de se produire. Tout à mon plaisir d’offrir quelque chose à Isabelle, je n’ai à aucun moment imaginé qu’elle pourrait rejeter celui-ci. Il m’avait même paru évident qu’elle comprendrait, qu’elle finirait par écouter ces chansons et deviner ce qui avait pu motiver ce cadeau.

Dans mon état d’apesanteur, le vide sous moi et la tête rejetée en arrière pour continuer d’apercevoir ce qui ces derniers mois était la cause de cette ascension, c’est un trou d’air que je viens de subir, une secousse qui me fait battre des bras comme pour me rattraper à quelque chose entre immobilisme et chute vers ce précipice que je ne veux pas voir. Je reste encore en suspend, mais cette fois et malgré moi, j’ai les yeux vers ce trou noir qui semble m’attendre.

Je quitte Vosne Romanée à pied en longeant la nationale pour retourner sur Vougeot, et tout en marchant je contiens ces larmes qui cherchent à me brouiller la vue. Bataillant contre tout ce qui me passe par la tête, je me rends à l’évidence qu’en fait j’ai calqué sur Isabelle ma façon d’agir, ma façon de ressentir. J’ai commis cette erreur de penser que l’autre peut réagir comme moi, l’erreur de penser à la place de l’autre.

Sans m’arrêter, je me retourne pour regarder une fois la maison d’Isabelle. La fenêtre de sa chambre donne sur la nationale et peut-être suit-elle du regard mon départ. Le voitures et les camions qui me dépassent m’induisent, dans leur souffle d’air qui m’enveloppe et me secoue, des idées de détresse; et si je me laissais tomber là, sur la chaussée, juste au moment ou passe un véhicule…..

Tout se bouscule dans ma tête, je ne sais plus où j’en suis, pourtant j’arrive à garder le contrôle de la situation.

Je me décide pour un geste moins grave. Je vais briser les disques et les jeter dans le fossé. Je pense qu’Isabelle me voit et comprendra que je suis blessé.

Je m’arrête, sors les vinyles de leur pochette, je vais les casser sur mon genou avant de disperser les morceaux. Un gros camion me dépasse en klaxonnant.

Je ne peux m’empêcher de regarder une fois encore l’image de cet album qui a pour nom Nostalgie. Les mains dans les poches le chanteur aussi à l’air nostalgique, mais il avance.

Dans ma tête aussi j’avance. Ma raison essaye de se faire entendre : « Tu l’as payé cher cet album, il serait dommage de le jeter, garde le pour toi au moins. Tu ne connais pas toutes ces chansons, écoute-les, elles t’aideront peut-être toi aussi comme tu pensais qu’elles le feraient pour Isabelle. »

Je m’assois sur la rive du fossé, le regard perdu dans le paysage qui m’entoure, mes tensions en profitent pour s’apaiser.

Je me dis maintenant que je ne veux pas qu’Isabelle me voit ainsi et sans plus tarder, je reprends ma route.


Arrivé à la maison je gagne directement ma chambre. Je ne veux pas que l’on connaisse mon désarroi.

Le seul tourne-disques de la maison est celui de l’école. Presque un meuble qu’il faut porter à deux mains et dont l’unique haut-parleur mesure un mètre cinquante. Je n’ai jamais utilisé ce genre d’appareil, pourtant j’ai envie d’écouter les disques que je viens de ramener et pas à l’école, mais dans ma chambre.

Je retrouve papa qui travaille au bureau du secrétariat de mairie pour lui demander l’autorisation d’emprunter ce tourne-disques, Maman est aussi là. Alors que je m’attendais à un refus ou pour le moins à une demande sur la raison de cet emprunt, c’est un: « oui tu peux » qui m’est adressé. Alors que maman m’observe, je lance un rapide merci et quitte les lieux avant que mon visage trahisse l’événement que je traverse.

Le lourd appareil est monté en deux fois jusqu’à ma chambre. Ces vingt et une marches de l’escalier qui mène à l’étage des chambres, sont gravies à la lenteur imposée par le poids de ce que je transporte.

Mais j’ai aussi l’impression qu’un autre poids, encore plus lourd, et qui en ces instants plombe mon cœur, donne à mes gestes et à mes réflexions la sensation d’être englué, la sensation d’être anesthésié.

Une fois le tourne-disques installé, je n’attends pas pour écouter les chansons que j’avais choisies pour Isabelle. Volontairement je mets le son assez fort pour qu’il puisse être entendu à l’extérieur de ma chambre ; message de tristesse pour ceux (s’il en est), qui essayeraient de comprendre cette situation nouvelle dans mon attitude.

Je verrouille ma porte, puis je m’allonge sur mon lit où les yeux fermés, je me laisse porter par la nostalgie que diffuse le haut-parleur.

Dix fois pour le moins j’aurai ce soir là écouté le double album de Gérard Lenormand, et inconsciemment, je me suis laissé recouvrir par une épaisse gangue de nostalgie.

Des jours durant encore, je n’aurai passé mon temps libre qu’à écouter ces chansons.


Je ne suis pas repassé par la maison Souvignet. L’école a continué à rythmer mes rencontres avec Isabelle, comme l’ont fait nos sorties organisées avec Olivier, Christophe et Christelle. Mais nouveauté pour moi, je souffrais de sentir mon cœur faire le hérisson. Je le sentais fermé, en boule, sur la défensive.

Le feu de cet Amour qui m’avait envahi, ne s’étouffait pas. Il continuait de brûler dans cette boule fermée. Je ne pouvais lui apporter ni oxygène, ni évacuation. Je ne savais pas comment gérer cela.

Dans ces moments partagés entre nous, j’installais de la distance entre Isabelle et moi. J’avais encore plus l’impression de ne pas être à ma place. Peut-être parce qu’elle ne m’a jamais reparlé de ce jour où elle a refusé la partie de mes sentiments que je voulais lui offrir en chansons, jamais demandé ce que j’avais fait des disques qu’elle m’avait rendus.

En apparence j’essayais de tenir cette distance. De surcroît mon comportement intérieur était ambigu, car je continuais d’être l’Ami sur lequel elle pouvait compter et s’appuyer. Ambiguïté qui comme un soufflet de l’enfer activait le feu qui me dévorait.

J’ai inconsciemment tenté une parade, peut-être plus exactement un contre feu. Il a eu pour nom Danielle. Danielle la sœur d’Isabelle. Je la voyais presque à chaque fois que nous nous trouvions à Vosne. Nos relations étaient sympathiques, maintenant je riais même plus avec elle qu’avec Isabelle.

Un jour elle a commencé à prendre des leçons de code pour passer son permis de conduire. Moins de trois kilomètres séparent Vosne de Nuits où elle se rend à bicyclette par les chemins de vigne. Ses leçons sont souvent en fin de journée, horaires auxquels je suis généralement déjà rentré de l’école.

Il m’a fallu peu de temps pour lui proposer de l’accompagner sur le trajet qui la mène à Nuits. Elle en a ri au début, puis à dû penser que je me sentais obligé. M’a dit que ce n’était pas la peine que je l’accompagne, qu’elle pouvait faire le trajet seule. Mais moi au fond, j’étais un peu inquiet de savoir qu’elle rentrait seule la nuit tombée.

Au premier trajet je me suis imposé, puis elle a très vite apprécié que sur ma mobylette je puisse la tracter, accrochée à mon épaule.

Moi je profitais de ce fait pour être heureux de lui rendre service, heureux d’avoir sa main sur mon épaule.

Ce texte a été lu 834 fois.


« Sous influence
par : Constance
Pomme d'amour »
par : Agnès Chêne



Rédiger un commentaire sur ce texte Votre avis sur ce texte … (2 commentaires)
Avatar de Elena

Elena

Le 06 juillet 2008 à 17:43

Tes personnages sont attachants mais ce qui est dommage,c'est qu'à vouloir trop détailler ton histoire,elle devient un peu trop lente.
Remonter au texte | #987

Avatar de zoggdanoff

zoggdanoff

Le 15 juillet 2008 à 10:54

Le morcellement des chapitres en très petits bouts ne facilite pas beaucoup la lecture de ce roman. En ce sens, ce style tout en lenteur n'en est pas favorisé; penses-y, si je puis me permettre...
Remonter au texte | #995


Rédiger un commentaire :

Votre pseudonyme :

Texte du commentaire :
:) :| :( :D :o ;) =/ :P :lol: :mad: :roll: :cool:
Nous vous rappelons que vous êtes responsable du contenu des commentaires que vous publiez.
Votre adresse de connexion (3.143.244.83) sera archivée.
Vous n'êtes pas membre de Jeux d'encre ....
Afin de valider la publication de votre commentaire, veuillez taper le code suivant anti-spam dans la zone de texte située ci-après : 
Important : Les textes déposés sur ce site sont les propriétés exclusives de leurs auteurs. Aucune reproduction, même partielle n'est autorisée sans l'accord préalable des personnes concernées.