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Journal d'un pyromane

Publié le : 21 juin 2007 à 07:59 par BEDMINSTER (Site web lien externe)
Catégorie : Nouvelles / Essais

EXTRAIT DU

JOURNAL D’UN PYROMANE




25 septembre – Je me suis réveillé ce matin avec cette maudite migraine, cette journée s’annonce mal, a-t’on idée de naître un 25 septembre 1955! Il y a trop de cinq dans cette date, chiffre impair, mauvais signe… quelque chose ne va pas dans cette suite numérique... 25…09…1955, aucun rapport.

Dehors un éternel crachin … ça n’arrange pas mes affaires ... la pluie… pas bon du tout.

Elle arrive toujours sans crier gare et repart de la même façon.

Fin d’année … évidemment … période humide, période de tous mes maux : courbatures, allergies, migraines et autres bobos.

Faut attendre le retour du soleil … absolument … rien ne serait possible sans lui. D’ailleurs qu’est-ce qui est possible sans lui ?

On pense toujours à tort que l’élément le plus important sur terre c’est l’eau, « l’eau c’est la vie » et tout le baratin ! Mais quel être humain pourrait vivre toute sa vie sans la moindre lumière ? Sans la moindre étincelle ? Qui pourrait vivre plongé dans une perpétuelle et sordide nuit ? On crèverait c’est sûr, moi le premier…cette grisaille me tue.



28 septembre – Quel feu d’artifice magnifique ! Et quelles senteurs ! De mémoire de pointois, je crois qu’on n’avait jamais vu ça ! Bien sûr la fête a été quelque peu troublée par les cris des marchandes qui s’agitaient çà et là, elles sautaient comme des gazelles, criaient et gesticulaient dans tous les sens.

Tout le monde avait oublié la fontaine qui se trouvait à quelques mètres des établis. C’est étonnant à quel point la panique fait perdre toute logique. Moi, je me suis baigné dans cette lumière nouvelle. Elle est née doucement entre mes doigts, elle respirait déjà. Elle grandissait à vue d’œil, inondant le marché aux épices, se nourrissant voracement aux seins de bois des établis, se lovant dans les tentes en toile … Cet enfant n’en faisait qu’à sa tête …

La statue qui trônait dans le marché m’a lancé un regard complice, je crois bien qu’elle m’avait vu. Elle souriait, elle semblait comprendre mon besoin vital de lumière. Mais la fête touchait à sa fin lorsque des sirènes stridentes ont retenti au loin. J’ai regardé une dernière fois ce bel enfant, je lui ai dit au revoir, tout doucement, sans le déranger, personne n’aime voir mourir un enfant…



01 octobre – Avis de cyclone, la radio n’arrête pas de diffuser des bulletins météorologiques. Les statistiques vont bon train sur le lieu de passage exact du phénomène. Un énième reportage est consacré au mystérieux incendie du marché Saint–Antoine :

Site touristique … feu inexplicable … perte historique … formidable patrimoine …

Les journalistes manquent vraiment d’imagination. A quoi ça sert de pleurer ce qui n’est plus ? Il faut faire définitivement le deuil de ce qui a disparu. Pleurer ne sert à rien. Le vide c’est le vide.



03 octobre – Il m’est venu une idée extraordinaire en me promenant sur le bord de mer de Lauricisque. L’air marin, l’odeur du frais m’ont subitement éclairci les idées. Je me promène là tous les dimanches et cette idée ne m’avait jamais traversé l’esprit, pourtant ça sautait aux yeux…tous ces bateaux, aux noms les plus farfelus, mis les uns à côté des autres … Quelle formidable partie de cache-cache ! Rien que d’y penser, je ne peux plus arrêter de sourire.



04 octobre – Mes oreilles sont encore remplies du bruit des détonations. Quelle nuit !

Je m’étais accroupi entre deux cabanes de pêcheurs pour regarder les enfants. Ils s’amusaient comme des petits fous, qu’est-ce qu’ils ont ri ! Un rire contagieux car j’étais aussi hilare qu’eux.

Tous ces bateaux à quai à cause de la houle cyclonique … c’était l’occasion rêvée pour une partie de cache-cache …

Les enfants sautaient d’un bateau à l’autre dans un bruit assourdissant. Les habitants des cités alentours, réveillés par tout ce tapage, s’étaient amassés à proximité du quai. Je ne saurais décrire l’étrange regard qu’ils avaient tous, on aurait dit un mélange de stupéfaction et d’affolement.

La foule est restée plantée là, fascinée comme moi par tant de beauté.



05 octobre – On peut affirmer que c’est la bourde du siècle, tous ces préparatifs pour rien, pas de cyclone. Il a changé de trajectoire à la dernière minute. Mais la grisaille a duré. Il y a même eu des orages, un comble !

De temps en temps un éclair est venu me rassurer mais c’était insuffisant.

Les génies de la pluie et du beau temps ont oublié que les catastrophes sont des catastrophes justement parce qu’elles sont imprévisibles.

Les pointois ont complètement oublié le canular météorologique mais les journalistes n’arrêtent pas de leur remémorer les explosions des bateaux du port de pêche. Un petit malin voit même un lien entre ces explosions et l’incendie du marché … Quel Lien ?

Est-ce qu’un enfant ressemble à un autre sous prétexte qu’ils ont le même père ?

Chaque enfant est différent, même les jumeaux les plus parfaits ont leur propre personnalité ! Il va falloir que je pense à le lui rappeler …



09 octobre – J’ai très envie aujourd’hui de faire quelque chose d’inattendu. Entrer dans un lieu inhabituel ou manger un mets inconnu.

A dire vrai, les enfants me manquent, je n’arrive plus à oublier leurs rires et leurs jeux.



11 octobre – Je l’ai entendu chanter pour la première fois, juste après que la rosace se soit brisée en mille petits morceaux multicolores.

Ce chant était merveilleux, je n’avais jamais rien écouté de tel auparavant. On aurait dit un mélange de murmures et de sifflements aigus. Etait-ce dû à la présence des cloches ou au léger crépitement des orgues ? C’était indescriptible.

Depuis le début du mois, cette nuit était la première sans nuages. Et ce magnifique chant sous ce toit d’étoiles avait quelque chose de magique.

Les énormes cloches ne sonneraient plus à présent, c’était déjà ça de pris sur les pollutions sonores environnantes.

Il y avait encore du monde sur la place quand je suis parti. J’espérais secrètement que le petit gratte papier serait dans la foule, histoire de rigoler un peu en voyant sa tête. J’aurais adoré lui poser la question suivante :

« Quel lien fais-tu maintenant, petit malin, entre un port de pêche et une cathédrale ? »



12 octobre – Il y a aujourd’hui une exposition de tableaux d’un jeune peintre inconnu à la salle Rémy Nainsouta. L’annonce du vernissage passe en boucle sur la chaîne locale depuis quelques jours. Je crois que je vais sortir, histoire de tuer le temps …


12 octobre – En me dirigeant vers la rue Nozière en fin de matinée, j’avais presque oublié la mort de mon dernier né, mais une sale odeur de bois brûlé est venue me rappeler son agonie.

Cette odeur de mort flottait dans toute la ville, impossible d’y échapper !

Mon mouchoir sur le nez, j'ai essayé tout de même de traverser la ville en évitant de tourner la tête du côté de la cathédrale.

Je n’avais aucune envie de voir ce squelette noirci dressé vers le ciel. C’est lui qui avait égorgé mon enfant dans son enceinte !

J'ai marché de plus en plus vite mais mon mouchoir était ridiculement trop petit et pas assez épais. L’odeur m’étouffait.

J’ai couru, bousculant au passage des piétons bavards plantés sur les trottoirs. Je me suis arrêté sur le boulevard, en sueur, à bout de souffle, proche de la suffocation. Une mamie endimanchée s’est approchée et m’a demandé si tout allait bien, je lui ai fait un signe de la main. Je ne pouvais plus parler.

J’ai alors repris ma route en essayant de marcher le plus lentement possible et en respirant profondément.

Pour atteindre la salle d’exposition il fallait monter à l’étage car le rez-de-chaussée faisait office de bibliothèque.

Arrivé en haut de l’escalier, je suis resté cloué sur place. J’avais dans mon champ de vision l’ensemble des œuvres de ce jeune peintre … j'ai failli m’évanouir … tous ses tableaux étaient d’une noirceur insoutenable.

Comment peut-on vivre sur une île tropicale et peindre des paysages aussi tourmentés ? Ces enchevêtrements d’arbres désarticulés et de cumulus aussi sombres les uns que les autres m’ont fait prendre mes jambes à mon cou.

Je n’aurais jamais dû sortir de chez moi aujourd’hui !



13 octobre – Il est trop tard maintenant, vraiment trop tard … j’ai eu beau leur dire de ne pas descendre l’escalier, ils ne m’écoutaient pas … Les enfants adorent les interdits …

Le type de peinture utilisé a rendu les toiles très inflammables, curieux paradoxe lorsqu’on considère la lourdeur des représentations.


C’est en descendant rapidement l’escalier en bois que je me suis aperçu que les enfants me suivaient. Quelle catastrophe ! Je n’ai rien pu faire.

Sautant de joie et claquant la langue de gourmandise, ils se sont rués dans la bibliothèque comme dans une véritable confiserie !

Lorsque je me suis rendu compte de la rapidité avec laquelle ils se goinfraient dans les rayonnages, j’ai appelé d’une cabine téléphonique les lanceurs d’eau. Eux seuls pouvaient les arrêter dans leur appétit féroce.

Les tableaux ont été, hélas, un trop maigre repas.

Ils ont actionné des lances gigantesques et ont mis fin à cette récréation improvisée.

La mort dans l’âme, je me demandais si j’avais eu raison de les punir pour avoir désobéi à mes ordres.

Après tout n’est-ce pas le rôle d’un père que de prendre des décisions pour ses enfants ?



20 octobre – La ville est devenue subitement silencieuse … un silence comme ceux qui précèdent les cataclysmes …

Pourtant l’absence des cloches n’y est pour rien. L’air est devenu lourd … « panne d’alizé !» disent-ils. Tout vit au ralenti et le soleil réchauffe à peine l’atmosphère.

Pendant cette journée étrange, on a appris qu'un curieux évènement qui s’est produit la nuit précédente dans la petite communauté de Saint-Protais.

Un mystérieux individu s’est amusé à incendier une série de voitures dans le voisinage …

Me suis-je déjà rendu à Saint-Protais ? Je n’arrive pas à répondre à cette question.

Aux actualités, Les images des voitures défuntes semblaient si familières …

Il faut que j’aille là-bas.



22 octobre – Saint-Protais, quelle bouffée d’air frais ! La verdure, l’odeur extraordinaire des acacias … un enchantement !

Finalement je n’ai plus de doutes. Si j’étais allé là-bas auparavant, je m’en serais souvenu.

Revenir en ville après cette escapade, c’était tomber à nouveau dans la grisaille accentuée par la concentration d’immeubles et de gens grouillants.

Combien étions-nous à souffrir de ce temps maudit ? L'un des habitants de Saint-Protais avait certainement du mal à vivre cette situation lui aussi, et il avait pendant un instant illuminé sa nuit …

Ses voisins n’étaient même pas capables de comprendre ça … Ils parlaient plutôt de voitures achetées à la sueur de leur front, d’outils de travail, de traites durement payées …Comme si ce genre d’objet se méritait !

Le matériel est décidément une sale illusion, une poudre aux yeux qui s’évapore dans l’air au moindre coup de vent.



01 novembre – Je ne pouvais plus rester chez moi. Même ma chambre autrefois si confortable semblait rétrécir à vue d’œil. Le plafond au-dessus de ma tête se rapprochait lentement et sournoisement.

Incapable d’arrêter le processus, j’ai décidé de loger dans un petit hôtel à proximité de la place de la victoire.

De ma fenêtre on peut tout voir, la Darse avec ses poissonniers criards dans leurs embarcations, le flux des étudiants de Fouillole qui grossit au gré des heures, et les adeptes du marché local qui papillonnent entre les marchandes de légumes.

L’avantage de mon nouveau domicile c’est que je peux me déplacer dans la ville tout en restant à ma fenêtre. On y respire l’air marin et au loin on devine la Grande galette … la Grande galette … il n’y a que quelques pas entre l’hôtel et les quais … acheter un billet … embarquer … et on y est.



10 novembre – Me voilà de retour de mon périple, j’ai passé un séjour inoubliable. Fait extraordinaire : il n’a pas plu une seule fois ! Se prendre pour un touriste seulement à quelques kilomètres de chez soi, c’est assez curieux. Cependant ce n’est ni le climat, ni les différents monuments visités qui restent gravés dans ma mémoire. Mon souvenir le plus intéressant c’est d’avoir visité avec les enfants une distillerie à Grand Bourg.

Je n’avais aucune raison de passer ce séjour sans eux, je tenais absolument à leur faire partager mes découvertes et les mêmes plaisirs que moi. Oui, cela leur a fait du bien, même s’ils ont été un peu grisés par les vapeurs d’alcool qui s’échappaient des bouteilles brisées.



24 novembre – Je suis revenu chez moi. Je ne pouvais rester indéfiniment à l’hôtel. De plus, j’espérais secrètement que le plafond et les parois avaient retrouvé leurs places dans la maison. Malheureusement, rien n’a changé depuis mon départ, les pièces donnent l’impression d’avoir encore rapetissé.

C’est désormais inutile d’espérer qu’une quelconque lumière vienne éclairer cet espace de plus en plus réduit, de plus en plus sombre et résolu à se refermer sur lui-même.

J’ai passé ma vie dans cette ville à la fois bruyante et vide. Je n’ai plus envie de lutter contre cette obscurité grandissante.

C'est à midi que l'une de ces certitudes fulgurantes éclate dans mon esprit.



25 novembre – Je le sais déjà. Demain, mon sinistre gratte papier conclura, comme toujours en de pareils cas, à une énième maison brûlée parce qu’elle était vétuste et en bois. Je l’entends d’ici :

« … La fin incendiaire d’une case traditionnelle qui persistait à s’enraciner dans la modernité du centre ville … »

Evidemment, il fera bêtement le rapprochement avec les maisons de la rue Barbes et celles de la rue du Commandant Mortenol qui ont, jadis, connu la même fin. Sans aucune imagination … comme d’habitude.

Alors qu’en vérité, je serai tout simplement parti avec mon dernier enfant dans un halo de lumière …

Ce texte a été lu 1172 fois.


« Verre
par : Spleen36
Alphabet d'amour »
par : giridhar



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arpenteur

Le 21 juin 2007 à 09:54

C'est excellent.
J'aime beaucoup. La forme, le fond.
Merci
Remonter au texte | #178

Avatar de Vagabonde

Vagabonde

Le 21 juin 2007 à 21:20

Une nouvelle qui fait froid dans le dos en la lisant. Une présentation originale avec la tenue de ce journal de bord.
Remonter au texte | #180

Avatar de BEDMINSTER

BEDMINSTER

Le 21 juin 2007 à 22:00

merci aux lecteurs d'un soir:D
Remonter au texte | #181

Avatar de Sept

Sept

Le 24 juin 2007 à 10:42

L'idée est excellente et c'est bien écrit.

Le truc c'est que justement je trouve ça trop "propre" pour un pyromane ... je trouve qu'il manque un petit quelque chose, qui rendrait la lecture moins calme. Faire ressortir le brin de folie qui motive le personnage. Comme le regard de la statue ou le manque d'imagination du journaliste, les enfants. Faire ressortir le "coté artistique de sa passion", en faire un génie fou ...

Hum ... c'est peut-être pas très clair mon machin là ... :roll:

24 juin - J'ai écrit un commentaire vaseux. J'arrive même pas à le relire. C'est à cause de l'autre aussi ! Il arrête pas de parler pendant que je pense ! C'est sûr ... c'est pas lui qui le taperait ! Faudrait déjà qu'il sorte de ma tête ...
Remonter au texte | #191

Avatar de BEDMINSTER

BEDMINSTER

Le 24 juin 2007 à 15:18

Lol. Merci Sept. au terme "propre" je répondrais que ma plume est un serpent qui danse, et ce calme apparent est mon esthétique.;)
Remonter au texte | #192

Avatar de Sept

Sept

Le 26 juin 2007 à 18:27

Ton esthétisme de serpent dansant envenime bien tes textes ! :D
Remonter au texte | #202

Avatar de BEDMINSTER

BEDMINSTER

Le 27 juin 2007 à 00:44

c'est une critique positive ou négative Sept? Disons que je préfère la folie douce et inquiétante.:p
Remonter au texte | #208

Avatar de Sept

Sept

Le 01 juillet 2007 à 08:30

@Bedminster : positive ! "folie douce et inquiétante" ça résume bien :)

*penser à être plus clair dans mes commentaires ... un jour*
Remonter au texte | #223


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