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Reporter du dimanche / Tempête dans un verre d'eau (1/5)

Publié le : 16 décembre 2007 à 21:20 par OptionZero
Catégorie : Nouvelles / Essais

« Faut que je prenne des notes tout de suite, pas moyen que je laisse passer ça. »

C’est ce que je me suis dit immédiatement après avoir trouvé mon but dans la vie. Cinq minutes plus tôt, je m’emmerdais comme un rat mort en essayant de remplir une tasse de whisky au maximum sans que ça déborde et d’un coup, j’entends Chazal qui annonce avec tout le sérieux dont elle est capable :


« Inquiétude en haut lieu : Le sous-marin nucléaire français ‘L’intrépide’ n’a plus signalé sa position depuis maintenant une quinzaine d’heures, selon les sources de l’Etat-major de la Marine Nationale. Un évènement qui ne manque pas d’alimenter les rumeurs de toutes sortes puisqu’il effectuait des exercices de manœuvre au large des Bahamas, au cœur du célèbre ‘Triangle des Bermudes’. Nos envoyés spéciaux… »


Première réaction mentale : « On peut écarter d’entrée l’hypothèse du vol, personne ne détournerait du matériel français. Ca fait quatorze heures qu’il a coulé ton berlingot, ma vieille. »


C’est vrai, j’ai toujours été un petit con cynique et ça m’a souvent desservi dans mes rapports avec les gens ; fort de ce constat, j’ai décidé de ne pas changer. Décision elle-même très conne et relativement cynique, ce qui me fait dire que j’arrive à très bien faire coïncider ma nature et mes actes. Quoiqu’il en soit, ma vie a changé en regardant le vingt heures, ce jour-là. Et je suis devenu absolument fou, j’en suis à peu près convaincu. On me l’aurait prédit, je ne l’aurais évidemment pas cru : je peux croire n’importe qui à condition qu’il soit plus charismatique que moi. En conséquence je ne crois en rien ni personne. Il est donc également à noter que ‘prétentieux’ se greffe naturellement aux précédents qualificatifs de ‘con’ et de ‘cynique’.

De remarquables qualités que je dois à mon père, tristement décédé il y a deux mois, le jour où j’avais entrepris de m’inscrire dans un club de badminton en plus, je m’en rappelle parfaitement. C’était plutôt marrant d’ailleurs parce que le responsable était en train de me demander quel était mon niveau quand j’ai appris sa mort par téléphone. A la fin du coup de fil, il s’est passé quelque chose de grand, ça venait d’une autre dimension : le survêt déguisé en type m’a demandé « Alors ? » et là, tout en fulgurance, je me suis entendu répliquer « Ouais, c’est bon ». Parachèvement de cet instant magique, je l’ai vu inscrire sur sa feuille quadrillée en face de mon nom : ‘Bon niveau de base’. Quand vous avez vécu des moments comme celui-là, vous pouvez crever tranquille.

Pourtant j’étais toujours là, bien campé sur mes deux pieds. Et heureusement, parce que casser sa pipe au moment où on décroche six millions net après droits de succession, franchement, ça m’aurait foutu les boules. Ouais, l’immobilier basque avait bien rapporté apparemment. Mon père, lui, n’avait jamais fait de badminton et finalement, j’ai pensé que ce n’était pas très important. Aujourd’hui, je dois être le seul con-cynique-prétentieux ‘vénal’ ( rajout à la liste, de par le fait ) du quartier à payer un abonnement annuel au club sans avoir jamais touché une raquette. Et je m’en branle royalement.

C’est dans ce contexte que Claire et son brushing ou thermobrossage de folie entrent en jeu. Faut dire que depuis que j’avais pulvérisé tous les records d’ingratitude en gagnant le jackpot sans même me pointer à l’enterrement et en appelant le notaire toutes les vingt-quatre heures pour savoir si ‘ça avançait ou quoi, bordel’, je m’étais servi de l’argent uniquement dans des conneries. Là-dessus, je ne peux pas prétendre le contraire : une dizaine de costards à deux milles euros pièce quand on reste en calebar toute la journée, ça ne sert à rien. La Lamborghini quand on n’a pas le permis c’est différent parce que le soir, j’aime bien descendre au garage pour fumer côté conducteur. Par contre, acheter un loft à Lyon pour être plus près de Gerland, c’est complètement abruti : il pleut un jour sur trois et le challenge sportif local, maintenant, c’est de se qualifier pour l’Intertoto.

Si ‘L’intrépide’ ne l’avait pas été autant, je serais sûrement en train de choisir un balai à chiottes plaqué or dans un magasin haut standing en ce moment, tellement je ne savais plus quoi faire de tout ce blé. Dès la fin du reportage qui démontrait, si c’était encore nécessaire, le ridicule d’être français, j’avais compris deux choses :

- Que Ulysse Gosset s’était étouffé avec sa barbe parce que ce n’était pas lui en direct de Miami.

- Et que j’allais utiliser mon fric pour voyager à travers le monde.

A cet instant précis, j’ai décidé que ça allait être mon occupation première, ma charge envers l’humanité : j’allais choisir une destination par mois - n’importe laquelle pourvu qu’il s’y passe quelque chose -, m’y rendre une semaine, jouer au reporter du dimanche en écrivant mes impressions et revenir à ma vie de branleur jusqu’au mois suivant. C’était lumineux.

Par contre, ça me faisait de la peine pour Ulysse : je l’aimais bien, moi.

De toute manière, le reportage avait déjà opéré chez moi le déclic irrémédiable : la folie totale m’avait atteint de plein fouet et je peux vous dire que c’est une drôle d’impression, je ne sais pas, j’essaye de vous trouver une comparaison qui vous siérait, bon, disons : comme si vous étiez téléporté brutalement de votre salon à un stand de tir avec quinze types en face de vous qui viennent d’épauler leurs FAMAS. Mais vous savez qu’aucun fusil n’est chargé. Alors que tous les autres le croient.

En gros.


Un vol pour Nassau ne s’improvise pas, principalement un mercredi à vingt heures trente lorsque le passager potentiel est à moitié bourré, tout fier d’avoir enfin un cap à appliquer à son existence et qu’il s’aperçoit soudainement qu’une valise serait un achat judicieux afin de mener à bien une telle entreprise. A ma connaissance, personne ne vendait d’artefacts de ce type à une heure aussi indue, alors à Lyon, vous pensez bien.

En revanche, j’avais tout le reste : un ordinateur portable qui allait souffrir de mes observations du cru une fois sur place, des chemises hawaïennes genre Raoul Duke et Docteur Gonzo, un passeport presque lisible et la tête de sconse petit format qui l’accompagnait, les lunettes de soleil Police pour crier Roxanne évidemment, le bob en jean pour un look beauf total et le Canon numérique pour immortaliser mes pièces à conviction et autres crabes de terre susceptibles de me renseigner pendant mon enquête. Autant dire que j’avais la panoplie complète du mec qui allait se faire goinfrer son portefeuille dès le premier jour. « Pas grave, du fric j’en ai plein ».

Une rapide consultation du net m’apprit que j’allais devoir attendre deux jours avant de pouvoir enrichir les escrocs bahaméens et faire connaissance avec la faune du coin, ce qui me plongea dans une profonde tristesse puisque j’allais encore avoir toutes les difficultés imaginables à combler cet espace-temps. Je l’ai donc divisé en quatre segments de douze heures chacun, répartis comme suit :

- Lire sur la Toile le témoignage d’une famille qui avait osé rallier l’archipel en voilier.

- Composer des numéros de téléphone au hasard pour parler de mon projet.

- Lancer du papier en boule dans la gouttière de l’immeuble d’en face.

- Et plier mes chaussettes sport sous forme de losange dans ma nouvelle valise.

Je dois dire que ce fut éprouvant, surtout à cause du boudin peu flexible qui est au bout mais enfin, j’y parvins. Je dîs adieu à chaque objet du salon, ce qui sembla les toucher sans les émouvoir plus que de raison. Mon briquet lampe-torche fut le plus expressif de tous : il alla jusqu’à m’éblouir d’un halo bleuté qui m’accompagna vers la porte d’entrée, m’auréolant ainsi à la manière d’un dieu aquatique. Un signe de tête et je m’engageai dans le corridor : ma sortie fut humble et discrète.

Le taxi se propulsa à vitesse correcte vers la zone aérienne acceptable la plus proche - Charles-De-Gaulle car les hôtesses ont le teint fade sur les vols intérieurs -, son propriétaire m’épargna les considérations météorologiques mais perturba ma symbiose environnementale par des questions concernant ma destination. Je lui ai expliqué en détail ce qui m’amenait à prendre un avion pour Mogadiscio, les enfants, la famine, les épidémies, mon rôle capital de pousseur de brancards dans tout ce merdier et autres stupidités. Il fut ravi et me ficha la paix sur les derniers cent mètres. En sortant, je lui ai quand même dit que c’était faux et j’ai vu de la méchanceté dans son regard, un demi-millier de kilomètres l’avait rendu agressif. « C’est bon, je vais la sortir tout seul du coffre, ma Samsonite, vous énervez pas … »

Susceptible, ce taxidermiste.

L’accueil a été chaleureux à mon arrivée : les portes automatiques du hall honorèrent ma présence en devenant manuelles. Après un bref regard de reconnaissance, je pénétrai dans l’enceinte, notai l’escale prévue à La Havane et engageai la conversation avec un Times posé négligemment sur un banc de la salle de transit. S’exprimant dans un anglais irréprochable, je ne saisis que peu de choses de son monologue pourtant très développé mais néanmoins entrecoupé de parenthèses commerciales hors de propos. Désemparé par son excentrisme, l’appel des voyageurs au micro me sauva de ce mauvais pas.

Les cacahuètes étaient trop salées, la vodka minimaliste, l’atmosphère tiède, les chariots trop larges et les couloirs trop étroits : même en Business, pas moyen d’être considéré avec déférence. ( ‘chiant’, à l’inventaire ). Je suis allé vomir sans me faire repérer dans la cafetière du personnel de vol pour marquer mon insatisfaction. La lecture de mes instructions confidentielles de mission, incarnées par la marche à suivre en cas d’amerrissage forcé, m’arracha un sourire de contentement : il y aurait de l’action avant même Cuba. Ma boîte de cure-dents était passée sans encombre au contrôle pré-embarquement et je profitai de cette aubaine pour arracher quelques morceaux de moquette à l’aide de ceux-ci autour de mon siège, le C-08. Mon voisin de gauche, au-delà de la rivière sacrée, finit par remarquer mon petit manège et appela du secours : je fis mine de me gratter le bras avec la pointe en bois mais il témoigna de façon circonstanciée, cet enculé. On me confisqua l’étui et les armes de destruction massive. Dès que nous fûmes de nouveau seuls, je sortis violemment celui que je camouflais encore malicieusement dans ma bouche et l’agitai sous le nez du sinistre délateur. Il secoua la tête d’un air de mépris et changea de place : ma victoire était incontestable.

A mon hublot, il y eut une moyenne de huit nuages à la minute pendant la première heure. Par la suite, j’ignore ce qu’il se passa, trop occupé que j’étais à guetter l’ouverture des toboggans jaunes. A mi-chemin de La Havane, je décidai d’interroger le pilote sur le moment qu’il allait juger adéquat pour sonner l’heure de la baignade. On m’en interdit fermement et par on, je veux bien sûr évoquer les mêmes bouffons qui m’avaient déjà démuni de mes carreaux d’arbalète miniaturisés. En infériorité numérique, je me repliai stratégiquement dans le but de fomenter un plan secondaire qui me permettrait de communiquer avec le directeur du bâtiment volant. J’ai bien envisagé de contourner l’obstacle par l’extérieur mais l’aile me sembla glissante. J’entrepris donc de dévisser la petite tige métallique bombée qui maintenait le revêtement au sol afin d’y fixer un message écrit que j’allais faire passer sous la porte donnant accès au cockpit, passant de cette manière inaperçu.

J’avais encore trois heures devant moi pour éviter le pire. Ensuite, ce serait trop tard.

Et l’aéroplane pour Nassau n’attendrait pas, lui.



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