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Reporter du dimanche / Tempête dans un verre d'eau (4/5)

Publié le : 04 janvier 2008 à 19:39 par OptionZero
Catégorie : Nouvelles / Essais

« Les solutions les plus simples sont souvent les plus stupides. » Jusque-là, j’étais d’accord avec le principe de base. Une solution simple serait une panne de radio, si l’on considérait la problématique de L’intrépide. Solution stupide puisque tout individu clairvoyant sait que les transmissions se font par satellite sur un sous-marin nucléaire et lorsqu’un satellite est déficient, il signale cette déficience en battant de l’aile, comme le ferait n’importe quelle libellule ou autre moucheron, qu’il soit spatial ou non. Et personne n’avait évoqué quoi que ce soit d’approchant jusqu’ici.

Donc rien à voir avec la communication.

Ce pouvait être aussi une voie d’eau qui avait mal tourné suite à une collision avec un minéral, un animal ou un second sous-marin. Non-sens multiples encore une fois puisque les minéraux ne poussent pas dans la mer, que les baleines ne s’accouplent jamais à proximité de Cuba par affinité politique et qu’aucun submersible au pavillon étranger ne naviguerait dans les mêmes eaux qu’un bâtiment français, réputation oblige.

Donc pas d’accident envisageable, d’aucune sorte.

Restaient le sabordage pour cause indéterminée, la mutinerie déjà plus compréhensible, l’enlèvement mais sans rançon officielle ou encore, et c’était bien sur cette hypothèse que toutes mes déductions s’étaient focalisées, une raison plus … transactionnelle.


L’intrépide ne pouvait pas être un bâtiment de guerre car si c’était le cas, nous aurions déjà perdu, c’était un fait indiscutable. Sa seule raison d’être était qu’il servait probablement de couverture à un commerce : sinon pourquoi autant d’exercices de manœuvres, pourquoi autant d’allers-retours d’un continent à un autre, pourquoi autant de mystères autour de ses activités … ?

Toute la question était de savoir quelle était sa nature et de là, je remonterais jusqu’aux destinataires et donc à la localisation du sous-marin. La drogue et les armes étaient à exclure : plus personne ne se cachait à ce sujet de nos jours, les colombiens et les tchétchènes ne construisaient pas de submersibles, c’était bien la preuve qu’il fallait chercher ailleurs.

L’intrépide était en cale sèche, pas loin d’ici, là où personne ne le chercherait, et déchargeait sa cargaison, comme d’habitude. On entendrait la nouvelle de sa récupération quelques jours plus tard aux infos, on calmerait les foules avec un prétexte technique tel qu’un problème de voilure et tout rentrerait dans l’ordre … jusqu’à la prochaine livraison.

Un lyonnais venait de mettre le doigt sur une supercherie qui datait peut-être de plusieurs décennies : ça méritait bien le coup du poisson-lune et un petit pas de breakdance, non ?


Je suis rentré dans ma nouvelle piaule après être passé au cinéma du coin : on y diffusait un film hongrois sous-titré en français intitulé « Le panier de cèpes », un chef-d’oeuvre du néo-réalisme avec des effets de caméra très fulgurants. L’histoire se passait en Ukraine, je crois. A un moment donné, le personnage central était opposé à un petit vieux qui boitait au cœur d’une joute verbale de haute voltige qui trouva sa relative conclusion dans la saillie terrifiante de l’infirme : « C’est une mauvaise valse, alors arrêtons les arabesques. » Suite à ça, je n’étais plus en état de suivre le reste et j’ai quitté la salle complètement déboussolé en psalmodiant : « Fuyez le cinéma expérimental et ses hordes impies car voilà revenu des Enfers l’outil du Démon qui, dans sa machiavélique entreprise, tente de nous écarter du droit chemin ; croyez en ma parole car je suis le Fils du Cèpe ».

Très atteint par la séance, je pris la saine décision de reporter mon voyage à Long Island au jour suivant. Cette île des Bahamas très étirée en regard de New Providence disposait, selon mes renseignements glanés entre deux stands de manioc sur le marché de la grand-place, de nombreux chantiers navals de taille moyenne camouflés dans le sein de ses criques et était cernée par des failles très profondes. L’endroit semblait correspondre à ce que je recherchais et c’était sans doute là-bas que tout allait se jouer. J’en étais arrivé à cette déduction parce que j’étais maintenant persuadé qu’un évènement de grande ampleur se préparait dans la zone et depuis si longtemps que cela en devenait indécent : tous ces bateaux disparus cargaisons comprises, ces équipages jamais retrouvés, ces avions qui se perdaient sans raison …

En regardant la carte, ça devenait clair.


Un détail était frappant, tout de même, non ? Quatre îles alignées sur un axe nord-nord-ouest ? Toutes quatre de formes curieusement allongées ? D’un intervalle presque identique entre elles ? Et formant un barrage suspect isolant Cuba de l’Atlantique ?

Un alignement de ce genre peut se produire de façon naturelle évidemment, à ceci près qu’en consultant les cartes des navigateurs du XVIe siècle, on s’aperçoit facilement de leur inexistence. Ces îles étaient artificielles, construites par des mains humaines, des mains franco-américaines pour être plus précis. Tout simplement parce que les américains ne pouvaient pas ignorer ce qui se tramait si près de leurs côtes, ils en étaient et les français aussi.

Depuis des décennies, Washington voulait étouffer Cuba dans son propre sang : l’embargo n’était pas suffisant, ils coupaient toutes les voies maritimes venant de l’Europe pour accentuer la chute de La Havane, jusqu’à l’éradication totale. Ce n’était plus un embargo commercial mais un siège, comme au bon vieux temps. Du point de vue américain, il était inutile de s’occuper de l’axe sud : l’influence qu’ils y exerçaient, que ce soit en Amérique Centrale ou envers les pays du Mercosur était suffisante pour bloquer tout ravitaillement en direction du barbu immortel. Par contre, concernant l’Atlantique, il fallait s’assurer que rien ne pourrait lui parvenir. Et comment le faire plus efficacement qu’en barrant physiquement le secteur ?

La France participait au manège sous peine de se voir administrer la même punition exemplaire, les américains ne reculeraient devant aucun chantage pour éliminer leur ennemi mortel et toutes les pressions étaient bonnes pour terminer la construction d’un véritable Mur des Caraïbes.

Ce qui m’amenait à L’intrépide et aux fournitures en métaux lourds qu’il transportait sûrement. Sans parler des spécialistes en génie civil : la fameuse fuite des cerveaux vers l’étranger…

Sauf que cette fois-ci, un lyonnais était sur le dossier. Et un lyonnais, ça réfléchit dans une chambre pourrie, accroupi dans un coin, un cigarillo à la bouche en regardant le plancher et tous les volets fermés. Et ça, ça impose le respect.


Je m’étais donné une semaine par déplacement. J’arrivais au sixième jour et la part la plus complexe du boulot était accomplie. Une quarantaine d’heures pour boucler l’affaire et je reprendrais les airs. Mes temps de loisirs avaient jusque-là été fort limités et j’estimais qu’une pause était nécessaire. Après tout, j’avais bien travaillé et s’inscrire à une bamboula locale pour décompresser était le geste lucide de celui qui connaît ses limites.

Je me suis préparé pour le repas-karaoké qui était proposé par un établissement à deux rues de mon hôtel : tant pis pour la discrétion, si les agents du District of Colombia voulaient me tomber dessus, ils n’avaient qu’à essayer. J’avais résolu l’ensemble de l’énigme théorique, c’était acquis, la victoire m’appartenait. Irrémédiablement.

La musique créole allait bon train et je partageais une tablée en compagnie d’un couple d’autrichiens genre ‘Viens enculer ma femme tout à l’heure, histoire que je voie comment tu t’y prends, je te refilerai deux/trois tuyaux’ et d’une célibataire américaine qui semblait avoir fui quelque chose. Quelque chose comme un ex-mari adepte du ceinturon en observant un peu sa gueule de belette contrite.

La conversation roulait en anglais scolaire autour des palmiers et de la pertinence d’avoir choisi cette destination pour endiguer la folie quotidienne des professions respectives. L’américaine plaçait un mot par ci, un mot par là, elle ne voulait pas se faire d’amis, juste être loin d’Atlanta et lire du Ken Follett sur la plage sans dragueurs environnementaux. Autant dire que mon naturel enclin à la facilité m’engageait à me rabattre sur une autricherie nocturne, ce soir-là. J’avais le sentiment du devoir quasi-accompli, sorte d’invulnérabilité du gars qui sait où il va. C'est-à-dire à Long Island le lendemain. Pragmatisme lyonnais.

Les viennois commençaient à me gonfler sévèrement et je me suis dirigé vers la scène pour interpréter une chanson de mon cru, fomentée dans ma chambre crade et que j’avais eu l’audace de nommer « Petit berlingot, oh, oh oh ! ». Mort bourré à la piñacolada, c’était le pied complet :


Petit Intrépide, pideuh, pideuh

Tu t’es pris pour l’Atlantide, tideuh, tideuh

A travers les mers, mèreuh, mèreuh

T’as voulu me la faire à l’envers, vereuh, vereuh


Petit berlingot, oh, oh, oh

Tu flottes pas dans l’eau, oh, oh

Mais les pieds par terre, tereuh, tereuh

Je suis un pur reporter, tereuh, tereuh


Etc …


Hans et Petra ont applaudi comme des tarés : j’avais mon ticket depuis deux heures de toute façon. Clara made in Atlanta a trouvé mon jeu de scène aussi consternant que mes paroles, je l’ai bien noté, mais je m’en foutais : j’avais déjà choisi mon option coup de bite. Elle avait qu’à se branler comme une conne avec son verre de Martini, la pauvre petite chose pantelante, ou se trouver un aborigène qui aimait Ken Follett.

Avec Hans, on a refait le monde avec des carafes de cocktails en supplément pendant que Petra m’appliquait son pied sur les couilles comme une sauvage. C’était tellement furtif que les verres tressautaient de temps à autre sur la table. Hilare pour rien et défoncée comme c’était tout à fait permis, elle revendiquait son droit au sexe Rhône-Alpes en climat tropical, la décevoir dans ce contexte revenait à se comporter comme Clara, c'est-à-dire comme un animal en décomposition. Ce que je me refusais à faire puisque j’étais titulaire d’un but dans la vie maintenant.

J’étais prêt à tout : recherches de sous-marins, triolismes à la tyrolienne, attaques d’ambassade, actes de terrorisme aérien, meurtres en série, records du monde successifs de reportages à la con, n’importe quoi. N’importe quoi tant que ça me donnait l‘impression d’être vivant.

Et je l’étais.

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